dimanche 11 avril 2010

Sartre et son temps

Intro :
La figure de « l’intellectuel » apparaît nettement dans l’Espagne de la fin du 19eme siècle. Dénonçant les abus et les ratés d’un régime sclérosé, ces élites s’affirment pour éveiller le peuple, pour critiquer avec virulence les institutions ou les politiques menées. S’ils n’ont pas toujours de rôle politique officiel, leur pensée et la manière avec laquelle ils la diffusent influent sur la marche d’un pays, voire du monde. Cela a été le cas pour Jean Paul Sartre en France. PB : En quoi peut on parler de Sartre comme de l’incarnation de « l’intellectuel total », cette figure de son temps ?

Plan :
I : Avant l’engagement, un enfant du siècle
- Naissance le 21 juin 1905 à Paris. Elevé par sa mère (papa dead très tôt) et ses grands parents (protestants, famille d’intellectuels et professeur alsaciens). Il reçoit une éducation de son grand père et autodidacte : il n’est pas scolarisé dans le public avant l’age de dix ans.
- D’enfant choyé il passe à une rupture de douze à quinze, le remariage de sa mère et les difficiles années au lycée de La Rochelle le confrontant à la réalité de la vie. Cette période difficile contribuera à sa rupture avec le milieu bourgeois (c’est pas de la psycho à deux balles c’est lui qui le dis dans Les mots).
- Entrée a normale sup (ULM) en 1924. Il y rencontre Raymond Aron, Daniel Lagache, Claude Merleau-Ponty, Nizan, qui deviendrons des amis qu’il conservera. On a ici la figure de Sartre apparaissant au milieu d’une nouvelle génération d’intellectuels. NB : si certains d’entre eux s’engagent très tôt (Aron applaudit la victoire du cartel), Sartre reste encore hors engagement, excepté celui de son athéisme.
- Mais c’est un perturbateur : il organise les plaisanteries en tout genre ; en 1927, un sketch antimilitariste provoque la démission du directeur de l’ENS. C’est la formation d’une culture personnelle et d’un anticonformisme qui n’est pas encore orienté. Sartre est l’enfant des bouleversements idéologiques de l’entre-deux-guerres. Il rencontrera Beauvoir à l’agreg, avec qui il va mener une relation libre, conforme à son rejet des normes.
- Il élabore sa philosophie durant les années trente, tentant de dépasser la pensée de Husserl qu’il va beaucoup étudier. Il traversera une crise existentielle, frustré d’être professeur en province. Alors que c’est l’apogée de beaucoup d’écrivains (Malraux, Gide, Aragon), lui a beaucoup de mal à percer. La nausée n’est publiée qu’en 1937 : c’est une troisième version, les deux autres avaient été refusées.
- En 1938 il s’affirme par opposition : il dénonce l’extrême droite fascisante et L’Action Française. Il s’inquiète de la signature des accords de Munich. CCL : on a donc une homme formé par son époque, disposant d’un potentiel intellectuel hors du commun, auquel il ne manque qu’un événement déclencheur pour s’affirmer. La guerre sera cet évènement.

II : L’engagement dans son siècle et son siècle, par son engagement, à jamais changé.
- Il est mobilisé au front, puis rentre à Paris avec un faux certificat médical. Il devient alors un intellectuel engagé : sa résistance se fait par les lettres, il n’est « ni héros ni lâche » (Annie Cohen Solal). Résistance intellectuelle dans le groupe « socialisme et liberté » avec Merleau-Ponty, les époux Desanti. 1943 : Les mouches passent au travers de la censure, elles sont une allégorie de la résistance. Viendront L’être et le néant, Critique de la raison dialectique et Huis Clos.
- L’existentialisme peut s’affirmer grâce au contexte : les collabos sont purgés, la figure de l’écrivain héros s’affirme (cf : Malraux). Sartre déclanche son offensive existentialiste avec sa conférence d’octobre 1945 : L’existentialisme est un humanisme, qui rencontre un succès populaire. Il est alors emporté dans un phénomène de mode qui le dépasse : Sartre est ici une incarnation, puisqu’il devient la figure de proue d’un mouvement qui n’est que sa philosophie : ce n’est donc plus l’homme qui se fait « intellectuel total » : c’est la totalité, le contexte, qui fait de Sartre cette figure.
- Octobre 1947 : il fonde Les temps modernes, en s’inspirant de Chaplin pour le titre. La revue ne s’inscrit dans aucun courant politique. Elle défend le courant existentialiste avec des plumes comme Beauvoir, Merleau-Ponty, Aron. Saint-germain des prés devient le haut lieu du mouvement. Sa diffusion est facilitée par les différents niveaux de lecture possibles de Sartre (romans, pièces, essais). Le contexte de l’après guerre joue beaucoup, l’affirmation de la liberté totale et de la responsabilité des individus séduit dans cette période ou on aspire à un monde nouveau tout en se rappelant les atrocités du passé. Le mouvement n’est pas la philosophie de Sartre : si celui-ci inspire toute une jeunesse dans un style de vie, il affirme qu’il n’a rien à voir avec eux.
- Compagnon de route du PC (1952-1956). Il était critique à l’égard du parti (a dénoncé le goulag dans sa revue) mais partage avec lui des valeurs du communisme. L’échec du RDR (rassemblement démocratique révolutionnaire), fondé par Merleau-Ponty et lui, lui fait voir le rapprochement avec les communistes comme une solution. Son adhésion va devenir totale et étrange pour tous : il affirme que la liberté d’expression est totale en URSS. Il devient vice-président de la fondation France-URSS en 1954. Des conflits ouverts éclatent avec ses collaborateurs des temps modernes, mais aussi avec Maurias, Camus. Octobre 56 : il condamne l’intervention des soviétiques contre la Hongrie de Nagy. C’est la fin du compagnonnage, il avouera avoir menti à son retour de l’URSS.
- Il est également le fer de lance intellectuel du tiers-mondisme. Il fait de nombreux voyages, de la chine à Cuba. Il se bat ardemment pour la décolonisation, écrit dans cette veine Les Troyennes. Pour cette raison, il est très apprécié à l’étranger. NB : ses écrits ont aussi séduit aux Etats-Unis.

III : Une référence de son temps, incontournable dans le paysage intellectuel
- Il fait parler de lui en signant le texte connu sous le nom de « manifeste des 121 » contre la guerre en Algérie. Son seul nom entraîne derrière lui l’intelligentsia de gauche et renverse l’opinion publique, sa lettre lue au procès dont il est absent fait l’effet d’une bombe.
- 1964 : prix Nobel de littérature, qu’il refuse pour raison personnelle (l’écrivain ne doit pas devenir une institution) et pour « raison objective » (c’est un prix du bloc de l’ouest, et Sartre ne veut pas s’y reconnaître totalement).
- Mais c’est sont soutien aux événements de Mais 68 qui va faire de lui une telle référence. Il affirme sa solidarité d’abords dans un article du Monde, signé par d’autres penseurs. Puis, ce sont deux articles parus dans le Nouvel Observateur qui défendent le mouvement étudiant. Mais il n’est pas le penseur du mouvement, juste un soutien.
- C’est avec la défense des groupes maoïste qu’il s’affirme de manière plus radicale. Il publie des articles, défile, témoigne. En Mai 1970, il devient le directeur-gérant de La cause du peuple. Soutien aux gauchistes, conception de la « démocratie directe ».
- Enfin, dès 1971, il émet le souhait de créer une agence de presse révolutionnaire, l’agence Libération. Le premier numéro du grand quotidien de gauche paraît le 23 Mai 1973.
- A sa mort (15 avril 1980), les grands quotidiens lui réservent tous pages et dossiers spéciaux. Ses proches multiplient les informations sur les dernières années de sa vie. On publie des écrits à titre posthume.

Conclusion :
Emporté par son siècle, c’est un intellectuel au sens où il inspire et est la figure de mouvements qui le dépassent, parce qu’il les défend ou les soutien de manière plus détachée (le socialisme, l’anticonformisme, l’existentialisme) ; et il est « total » au sens où ses écrits ne sont pas sa seule arme : son seul nom suffira à fournir un soutien de poids, sa personne est l’objet de controverses et de débats, d’une admiration forte ou d’une critique acerbe. Sartre est donc une figure de son temps et a façonné celui-ci par ses actes.

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