dimanche 11 avril 2010

Les gauches en France durant l'entre deux guerres

Ici, l'intitulé du sujet (les gauches, et non la gauche) veut nous faire étudier non pas le rôle politique de la gauche durant la période (gouvernements éventuels, et importance des réformes dans l'Histoire...), mais les relations, les clivages, les disparités que l'on rencontre à cette époque au sein de la gauche. Il faut aussi souligner leur poids relatif, et évoquer les actions menées en gardant à l'esprit la problématique de la cohésion.




I Les gauches isolées (1918-1934)

1.1. Le PCF, une gauche nouvelle
 l'après guerre, c'est le temps des scissions chez les socialistes. A la conférence (internationale) de Zimmerwald, dès 1915, une partie des socialistes rejettent l'idée d'une gauche nationaliste en temps de guerre, qui participe aux gouvernements d'union sacré. C'est le début d'une scission qui aboutit en 1919 à la création du Komintern (troisième internationale), signant l'échec de la seconde internationale qui n'a pas pu maintenir la paix.
 En France, traduction en 1920 au Congrès de Tours, division SFIO (qui conserve la seconde internationale) et SFIC.
 Le syndicalisme socialiste aussi se divise : 1921 scission CGT socialiste de Léon Jouhaux / CGTU communiste, qui n'est plus indépendante du parti politique (Charte d'Amiens)
 Le PCF incarne une gauche nouvelle, qui refuse le pragmatisme de la SFIO : en effet, Léon Blum distingue l'exercice du pouvoir de la conquête du pouvoir, et accepte ainsi de gouverner dans un gouvernement non socialiste. A l'inverse, le PCF refuse cette conception : le but principal n'est pas l'exercice du pouvoir mais sa conquête révolutionnaire, ce qui lui confère une place reculée dans la vie politique.
 Le PCF est la première force de gauche à disposer de son syndicat (non indépendant), et à pratiquer une épuration telle que celle du début des années vingt (bolchevisation du PCF). C'est aussi une gauche qui obéit directement aux ordres de Moscou (le PCUS), et donc un parti qui se veut réellement antinational.
1.2. Peut on parler seulement de 3 gauches distinctes ?
 Il y a donc trois gauches, ou du moins trois partis dans les années vingt, qui ont leur propre sociologie, leurs bastions.
 Le parti radical conserve ses idéaux républicains et laïques qui ont fait son succès par le passé, mais s'oppose aux deux autres partis de gauche, en cela qu'il n'est pas pour une socialisation des moyens de production (parti de la bourgeoisie, attachée à la propriété privée). C'est la force majoritaire à gauche apres la première guerre mondiale. Il faut souligner le rôle d'E. Herriot qui parvient à sortir le parti de la crise de l'après guerre, due en grande partie à une sclérose idéologique (le programme est réalisé dans l'essentiel) Sociologie : le parti des classes moyennes et de la petite bourgeoisie, des nouvelles professions libérales. Géographie : des bastions dans le Midi, le Sud-Ouest, et à Lyon.
 La SFIO qui veut à terme instaurer un véritable état socialiste, mais dont les leaders (Blum notamment) acceptent d'entrer dans les gouvernements radicaux (Cartel des gauches par exemple). Sociologie : moins d'ouvriers depuis 1920, le parti recrute beaucoup chez les enseignants, les fonctionnaires, les employés... Géographie : Nord-pas-de-calais, Centre, Paris, Toulouse, Marseille, Limoges...
 Le PCF n'accepte pas les compromis, et veut une socialisation immédiate des moyens de production. Il est aux ordres de Moscou, utilise des méthodes de propagande pour créer un modèle unique du militant communiste. Sociologie : peu de membres au départ, car des adhésions aux conditions strictes... c'est bien entendu un parti d'ouvriers. Géographie : peu à peu des bastions apparaîssent, dans les régions industrielles, dans le Lot et Garonne... mais c'est assez tardif.
 Cependant, et jusqu'en 34, les divisions internes sont visibles.
 Le PCF subit une purge tout au long des années vingt, dictée par Moscou.
 La stratégie de Blum à la SFIO ne fait pas l'unanimité : une tendance héritiere du guedisme, autour de Marceau Pivert refuse la distinction de Blum exercice/conquête (en 36 Pivert dira « tout est possible » ie « la révolution est possible »). La tendance des « néos socialistes », autour de Marcel Déat incarne une dérive nationaliste (au sens de anti internationaliste, ie contraire à la logique du parti). Les Néos sont exclus en 33 et Déat fonde le PSF... il finira collaborationniste.
 Chez les radicaux, Joseph Caillaux lance le mouvement des jeunes turcs apres la chute du Cartel des gauches : il s'inspire des idées nouvelles que sont le planisme et la technocratie.
1.3. Des valeurs communes, mais une domination Radicale
 Le PCF fait figure d'exception à gauche jusqu'en 34, puisqu'il refuse catégoriquement toute discussion. L'adoption de la ligne « classe contre classe » à partir de 1928 amplifie ce refus. Il s'agit d'un parti révolutionnaire, qui refuse de coopérer ou de participer à un gouvernement. Il ne pratique pas non plus la discipline républicaine au second tour des élections avec le reste de la gauche. Peu à peu il est rejeté par l'ensemble de la gauche, à l'instar d'Albert Sarraut qui transforme la formule de Gambetta en 1927 : « Le communisme, voilà l'ennemi ».
 En revanche, SFIO et Radicaux coopèrent. Les deux partis sont théoriquement bien différents puisque les radicaux s'attachent à la propriété, mais le programme progressiste qu'adopte la SFIO les rapproche : semaine de 40h, congés payés, nationalisations, remise en cause de l'existence du Sénat.
 SFIO et Radicaux coopèrent durant l'entre-deux guerres, même si le parti radical possède deux visages puisque nombreux sont les radicaux qui ont occupé des gouvernements de droite (le parti radical n'a pas quitté le gouvernement entre 1918 et 1939). Cette coopération débouche sur le Cartel des gauches en 1924 qui gagne les élections. Les communistes se trouvent donc isolés à gauche durant les deux ans de gouvernement.
 Mais en réalité, le Cartel des gauches mène une politique radicale : les socialistes adoptent un soutien sans participation, et jugent le programme radical pas assez social (logique!). Donc le nom même de Cartel des gauches, ne renvoie qu'à une alliance d'une partie de la gauche, pour gagner des élections, mais pas à une politique commune, puisque le parti majoritaire impose ses vues. De manière générale donc, chaque parti de gauche est plus ou moins isolé, et seul le parti radical pèse dans le paysage politique.
 Une exception sans doute : la politique internationale de l'ancien socialiste Aristide Briand (le briandisme), une politique de sécurité collective qui fait consensus entre socialistes et radicaux. (Le consensus est bien plus grand puisque cette politique sera poursuivie par les gouvernements de droite).

Transition : donc des gauches qui ne pèsent pas dans des proportions égales, loin de là, et une gauche particulièrement exclue de la vie politique : le PCF, qui refuse d'en accepter les règles. Mais l'année 34 va constituer un tournant et la fin des années trente sera le théâtre de regroupements inédits.

II Une unité fragile (1934-1939)

2.1. Le front antifasciste : un ciment idéologique
 Dès 1934, les gauches se regroupent autour d'un combat : l'antifascisme. Tournant. Ouverture du parti communiste (l'URSS a intérêt à lutter contre le fascisme et le régime nazi, du fait de la menace d'invasion japonaise en Chine, donc le mouvement d'ouverture vient bien de Moscou) : changement de ligne mené par Thorez, qui s'impose comme figure nouvelle, plus sociale, à la tête du PCF (« main tendue » en 1935).
 La gauche devient le pôle pacifique antifasciste. Elle rassemble les intellectuels (CVIA créé en 1934). L'antifascisme transcende peu à peu les clivages au sein de la gauche : le comité Amsterdam-Pleyel créé en 1932 adopte dès l'année suivante la lutte contre le fascisme comme principal objectif : il rassemble des membres de la CGT CGTU SFIO des communistes et des radicaux.
 L'antifascisme des années trente est avant tout un phénomène de gauche, c'est ce qui va permettre l'union politique des trois partis : le Front populaire. Celui-ci se constitue des 1934 (pacte d'unité d'action SFIO PCF).
2.2. Le Front Populaire : inversion du poids des partis
 il est avant tout rendu possible par le changement d'attitude du parti communiste, qui se détache peu à peu de ce qui faisait son exception à gauche : la dialectique classe contre classe, l'idéologie ouvriériste, le refus de discussions avec la SFIO, considérée auparavant comme traître en raison de son rôle dans l'union sacrée.
 L'alliance proposée entre les classes moyennes et les classes ouvrières est acceptée par le parti Radical, qui est en perte de vitesse et voit là l'opportunité de continuer à peser dans le paysage politique. Les discussions regroupent les trois partis dès 1934. L'antifascisme fait consensus, mais les autres mesures sont nécessairement des compromis.
 Les antagonismes ne sont pas abolis puisque les accords ne prévoient que des désistements au second tour, et non un candidat commun. Aux élections de 36, les Radicaux perdent beaucoup de sièges et sont dépassés par la SFIO. Le PCF effectue une percée spectaculaire en doublant son nombre de sièges. Le poids politique est donc inversé par rapport au Cartel des gauches. Et le gouvernement constitué prendra des mesures plus socialistes.
 Malgré un front plus large que dans les années vingt, les communistes font toujours « bande à part » puisqu'ils refusent de participer au gouvernement. C'est donc à nouveau un gouvernement Radical-Socialiste.
2.3. De nouveaux clivages à la veille de la guerre
l'arrivée de la guerre bouleverse les clivages passés.

 Divisions Munichois/Antimunichois à gauche : exemple à la SFIO, Paul Faure est Munichois, Léon Blum éprouve « un lâche soulagement ». Munich transcende le clivage gauche droite car deux conceptions du pacifisme. Jusqu'à présent, le pacifisme était associé à la gauche (avant la première guerre mondiale), mais désormais, il ne la caractérise plus.
 La position ambigüe du PCF : suite au pacte germano-soviétique de 1939, le PCF a l'obligation depuis Moscou d'entériner la nouvelle ligne. Mais celle ci va a l'encontre des engagements du partis depuis 1934. Le PCF est donc désorganisé en 1939.
 Le Parti Radical bascule à droite : Daladier signe les accords de Munich.


Conclusion :
A la veille de la seconde guerre mondiale, les partis de gauches ne sont plus les mêmes. Le PCF a pris de l'importance mais est en peu de temps décridibilisé. Le parti radical en perte de vitesse bascule à droite. La chute du Front Populaire est un échec pour la SFIO (et Léon Blum) qui n'est pas parvenu à réunir la gauche de manière durable. Les rivalités entre les forces de gauche ont toujours été nombreuses, mais elles ont été masquée, volontairement, pendant quelque temps, derrière un crédo commun, l'antifascisme. Celui-ci n'a pas empêché la guerre d'éclater, et en 1939, les gauches sont à nouveau divisées, mais par clivages nouveaux. Par ailleurs, l'entre-deux guerre regroupe les dernières années d'existence du parti radical en tant que grand parti politique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire