dimanche 11 avril 2010

LAIQUES ET LAICITE EN FRANCE DEPUIS 1870

La laïcité est un terme désignant une conception politique, selon laquelle l’organisation de la société repose sur la séparation de l’Église et de l’État, en particulier dans le domaine de l’enseignement. Dans cette optique, l’État reconnaît toutes les religions sans en adopter aucune. L’affirmation de la laïcité ne postule pas la disparition du principe spirituel, mais fait de celui-ci une pratique individuelle, relevant exclusivement de la sphère privée.
Affirmée pour la première fois, en matière politique, avec la Révolution française, la laïcité apparaît comme l’un des fondements du pacte républicain. Souvent présenté comme constitutif d’une « exception française », le principe de la laïcité s’oppose naturellement aux modèles politiques à religion d’État, mais également à une tradition anglo-saxonne qui reconnaît dans le cadre de l’État l’existence d’un principe religieux, tout en laissant chaque citoyen adopter la croyance qu’il souhaite.
Napoléon Bonaparte s’emploie à définir le cadre institutionnel de la laïcité : la signature du Concordat de 1801, reconnaissant le catholicisme comme « religion de la majorité des Français », n’exclut pas la reconnaissance des autres cultes (protestant et israélite) et leur organisation en structures (consistoires) capables de représenter ces communautés auprès des pouvoirs publics. La laïcisation de l’état civil, de même que le droit au divorce, sont confirmés. L’organisation du système éducatif échappe au contrôle de l’Église, sauf pour l’enseignement primaire, et de fait, l’Empire vise à placer l’Église sous l’autorité de l’État en transformant le clergé en un corps de fonctionnaires.

Dans quelle mesure les laïques sont-ils parvenus à imposer la laïcité comme une valeur républicaine fondamentale en France depuis 1870 ?

I) 1870 – 1905 : les Républicains font de la laïcité un « ciment » de la République.
II) 1905 : la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
III) Depuis 1905 : Malgré quelques « déboires », (Bloc National, Vichy), la laïcité s’impose comme une valeur fondamentale de la République.




























I) 1870 – 1905 : les Républicains font de la laïcité un « ciment » de la République.
I) 1) 1870-1875 : Une République sans Républicains : la laïcité n’est pas à l’ordre du jour.
a) fin du second Empire, Gambetta appelle à une séparation E/E lors du discours de Belleville.
b) insurrection de la Commune, mai 1871, les communards reprennent (entre autres) ce dernier point.
c) Mac-Mahon succède à Thiers après la crise du 16 mai 1877. Sa politique d’ordre moral renvoie à une société dominée par les principes religieux => ligne de clivage entre deux France :
- la France républicaine, libre penseuse, libérale, qui a pour idéal la société sécularisée de la révolution française. (cad où aucune religion n’est érigée en modèle et où l’Etat autorise ses citoyens à pratiquer celle de leur choix ou ne pas en pratiquer du tout. La religion est isolée des sphères sociale, économique et politique. Dans la société séculière, l'État n'utilise ni ne supporte aucune Église.)
- celle pour qui l’Evangile est le principe directeur de toute société et Dieu le maître de l’histoire.
L’Eglise joue un rôle de premier plan, elle obtient des faveurs en matière d’enseignement.

I) 2) 1879-1889 : Les Républicains au pouvoir veulent enraciner la laïcité
a) Ferry veut enraciner la République, indissociable de la notion de patrie, et l’idée laïque est elle-même indissociable du sentiment patriotique. Il veut aussi libérer les consciences, on revient à la lutte contre ce qui est considéré comme l’obscurantisme de l’Eglise. => On touche là au double visage de la laïcité, qui est à la foi l’affirmation de l’Etat, mais également une philosophie propre d’inspiration rationaliste, voire antireligieuse.
L’enseignement a alors deux objectifs : - religieux : lutter contre l’enseignement confessionnel.
- politique : affermir la République en affaiblissant l’Eglise.
Pour Jules Ferry, la religion n'est pas le fondement de la morale mais, au contraire, la morale constitue l'élément solide et stable des religions. Une « morale laïque » peut donc devenir la valeur commune assurant le lien social. La laïcité est fondée sur le refus implicite d'une religion civile.

b) Une volonté de laïcisation de la société = d’où toute une série de mesures.
- 1879, suppression de la loi interdisant de travailler le dimanche (datant de 1814). S’émanciper du temps chrétien est une exigence de laïcité.
- 1880, Décret contre les Congrégations.
- laïcisation des hôpitaux.
- 1884 : loi sur le divorce, qui brise le monopole de l’Eglise, seule habilitée à rompre les unions.
C’est plus une laïcisation qu’une libéralisation du divorce. Les Républicains, à l’instar de Ferry, prônent une morale aussi sévère que la morale conservatrice du fondement religieux.

c) La laïcité va cependant plus loin que la seule lutte contre l’influence de l’Eglise, elle se donne aussi pour mission de former le citoyen en développant :
- une doctrine implicite, des idéaux, hérités du rationalisme du 18° siècle, des Lumières, des Droits de l’H.
- La République doit développer une nouvelle morale, « nouvelle religion », qui doit se substituer au credo catholique, d’où, en retour, l’acharnement des catholiques à combattre la République.

I) 3) L’école : la pierre angulaire de l’œuvre de laïcité, l’œuvre de Jules Ferry.
La laïcisation de l’école s’est déroulé dans un climat de très vives tensions, de quasi guerre civile entre les deux France : la France catholique et conservatrice contre la France progressiste et républicaine.
a) Ministre de l’instruction publique du 4 Février 1879 au 23 septembre 1880 dans le cabinet Waddington. Ses premières mesures : - collation des grades universitaires retirée à l’enseignement privé
- dispersion des congrégations religieuses non autorisées.

b) Président du conseil du 23 Septembre 1880 au 10 novembre 1881, il poursuit la mise en place des lois sur l’enseignement : - gratuité (1881)
- février 1880 : dans le secondaire, création des lycées et collèges de jeunes filles. Cette loi a pour objectif de mettre fin à l’influence de l’Eglise sur les jeunes filles de la bourgeoisie.

c) Ministre de l’Instruction de janvier à juillet 1882, il poursuit la réorganisation de l’enseignement primaire autour de la trilogie : laïcité, gratuité, obligation : la gratuité permet l’obligation qui impose la laïcité.
- 1882 : l’école devient obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans, et enfin école laïque en 1882. L’instruction religieuse ne figure plus dans les programmes, mais on fait place à l’enseignement scientifique et au développement d’une morale républicaine.

Cl° partielle -transition : Après l’enseignement laïque, le terrain était préparé pour aboutir à l’Etat laïque, conforme aux idéaux républicains et enjeu final.


II) 1905 : la séparation de l’Eglise et de l’Etat : un enjeu final
D’abord, étude du contexte général de lutte contre les institutions ecclésiastiques avant de nous pencher sur la loi de 1905 elle-même et ses principales conséquences.

I) 1) Le contexte anticlérical
a) Des oppositions de plus en plus marquées entre les catholiques et les républicains.
- d’abord sur un plan politique : Rép. vs monarchie et démocratie vs principe d’autorité.
- au-delà sur un plan + philo : laïcité vs défense de la primauté catholique sur la société.
Les termes « catholiques » ou « chrétien » prennent une connotation péjorative, des attaques d’une très grande violence ont lieu, qui correspondent au clivage majeur de l’époque.
b) L’affaire Dreyfus (1898), épisode clé de la lutte entre l’Eglise et la République. Les catholiques ont paru largement antidreyfusiens et se sont très rapidement opposés aux républicains, plutôt favorables à la révision du procès. L’Eglise a voulu faire une guerre aux républicains défenseurs de la vérité, et, après la réhabilitation du capitaine, elle devra subir les foudres d’une Rép. de plus en plus anticléricale.
c) Les extraordinaires progrès réalisés par la science vont tendre à faire de la science un moyen d’explication universelle, ce qui se fera au détriment d’une religion de moins en moins persuasive face aux données rationnelles. Il n’en a pas moins été délicat d’imposer la laïcité de l’Etat car le catholicisme demeurait la religion pratiquée, ou du moins partagée, par la grande majorité des français.

2) la lutte contre les congrégations religieuses enseignantes et la loi du 9 décembre 1905 : loi dite de séparation des Eglises et de l’Etat.
Le système des cultes reconnus est aboli : c'est la seconde étape de la construction de la laïcité, d'abord marquée par une lutte très vive contre les congrégations religieuses enseignantes et la fermeture de leurs établissements par Émile Combes, président du Conseil.
a) les congrégations
- 1902 : victoire des Radicaux, formation du ministère Combes : les congrégations sont frappées : les préfets font dissoudre celles qui n’avaient pas demandé d’autorisation et fermer les 2 500 écoles qu’elles dirigeaient.
- loi de 1904 : elle interdit l’enseignement aux congrégations, même celles autorisées.
b) la loi de séparation des Eglises et de l’Etat : 9 décembre 1905
La loi est le projet de Combes mais c’est son successeur Rouvier qui la fit voter, dont Briand fut le rapporteur.
Mais les deux premiers articles indiquent non pas une séparation des religions et de l’Etat, mais des religions et de la République.
La loi assure la liberté de conscience, garantit la liberté de culte, abrogeait le Concordat ; la Rép. ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte ; les biens des Eglises sont dévolus à des associations culturelles.
c) bilan
La République ne reconnaît plus aucun culte et refuse une religion civile : être adepte d'une religion ou être athée relève d'un choix individuel. La religion est privatisée : il ne doit pas être demandé de service public aux différents cultes et les services publics de l'État ne doivent porter aucune marque de caractère religieux.
Si le protestantisme et le judaïsme ont globalement accepté la nouvelle logique, le catholicisme l'a d'abord refusée : la loi est condamnée par une encyclique en 1906, car elle violait l’ordre divin exigeant « une harmonieuse concorde entre les deux société religieuse et civile. »

3) Les conséquences multiples de la loi
a) Les établissements publics qui assuraient l’exercice des cultes sont supprimés et tous les cultes sont désormais reconnus égaux quelle que soit leur importance. L’Etat, qui doit protéger la liberté religieuse, ne doit néanmoins pas s’immiscer dans l’organisation intérieure des Eglises qui retrouvent sur ce point leur pleine et entière liberté.
b) Le cas de l’Eglise catholique
Pour le cas de l’Eglise catholique, il existe des relations juridiques entre le Saint Siège et la République française par le biais des relations diplomatiques (depuis 1921).
Malgré les réticences initiales de l’Eglise catholique, la loi du 9 décembre 1905 a progressivement réussi à instaurer une réelle paix religieuse en France, en séparant une fois pour toutes la religion de la République. c) La séparation : le grand symbole de cette laïcité nouvelle. Pour les plus radicaux (Combes, Clemenceau, Viviani), elle devait sonner l'hallali du catholicisme ; pour les plus politiques (Briand, Jaurès), elle devait permettre la pacification religieuse du pays et l'intégration des catholiques à la République pour donner la priorité aux questions sociales.






III) Après 1905
1) après la guerre, Le bloc national : le nouveau poids de l’Eglise.
a) L’anticléricalisme est passé de mode : les Catholiques ont participé à la guerre, les ennemis sont désormais les communistes et le Bloc National s’appuie sur une majorité de droite, dont l’une des composantes est la droite catholique. D’où le fait que les différents gouvernements, de Briand à Poincaré, déploient une politique très favorable au clergé et aux catholiques.
b) Les effets : - Pas d’application de la séparation E/E en alsace et en lorraine lors de leur réintégration à la communauté nationale, les deux provinces restent sous le régime du concordat. Les membres du clergé sont alors assimilés à des fonctionnaires d’Etat. On maintient également un enseignement religieux obligatoire !! - Le bloc national joue également l’apaisement à l’égard des congrégations religieuses qui sont à nouveau autorisées. On s’attache à exalter des symboles qui sont à la fois des symboles de la patrie mais également de la religion : la figure la plus en vue est Jeanne d’arc.
- Réintégration de l’Eglise au sein de la société, d’où rétablissement des relations diplomatiques de la France avec le Vatican en décembre 1921 avec un échange d’ambassade.
- Politique religieuse favorable mais le bloc national n’abroge aucune disposition laïque. c) Renouveau du catholicisme (JAC, JOC, JEC) et de la pensée catholique: le journal La Croix (180 000 exemplaires en 1926) soutient le bloc National, défend l’Ecole libre et combat la laïcité. Et aussi des « républicains démocrates », séduits par le Sillon, membres de la Ligue de la jeune République de Marc Sangnier. Création du Parti démocrate populaire en 1924, qui peine cependant à trouver une place entre la droite conservatrice et la gauche laïque.

III) 2) crise des 30’s, et Vichy
a) crise politique de la droite : du côté de la droite traditionaliste, la crise se manifeste par une volonté de retour aux sources : développement d’un courant réactionnaire, cette jeune droite d’inspiration maurrassienne s’exprime dans différentes revues comme Les Cahiers ou La Revue française, qui véhiculent une hostilité à la démocratie, au capitalisme et à la laïcité de l’Etat et manifestent une volonté d’en revenir à le France de la religion.
B) Le Front Popu : la défense des libertés fait l’unanimité, notamment la défense de l’école laïque.
c) Vichy, Pétain et la Révolution nationale.
Lors la période du gouvernement de Vichy, le principe de la laïcité est, dans la pratique, l’objet de nombreuses dérogations. Le régime est appuyé activement par l’Eglise, qui voit avec ferveur un régime cherchant à restaurer la famille et les vertus morales d’inspiration chrétienne.
Evidemment, toutes les lois sur le statut des juifs entrent en contradiction avec les principes de laïcité de la loi de 1905 de séparation E/E qui assurait la liberté de conscience et garantissait la liberté de culte.

III) 3) La laïcité fait enfin consensus
a) 1945, la hiérarchie catholique déclare que la laïcité peut être acceptée.
b) Constitutions des 4° et 5° République.
1946 : la Constitution qualifie la France de « République laïque » et indique que « l'organisation de l'enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés, est un devoir de l'État ».
1958 : la Constitution ajoutera que la République « respecte toutes les croyances » et que « La France est une République laïque... ».
c) Depuis, le débat n’a plus porté sur la laïcité, mais sur le monopole scolaire de l’État.
Jusqu’en 1951, si les pouvoirs publics reconnaissaient l’enseignement privé, ils se refusaient à le financer, principe qui a été modifié en 1951 et 1959 : sous réserve de la conclusion d’un contrat avec l’État, qui rémunérait les enseignants et exerçait un contrôle pédagogique sur l’enseignement dispensé, les écoles privées recevaient une subvention de fonctionnement.
Si le principe de la laïcité a été aménagé au profit de l’enseignement privé, il n’en a pas été pour autant abandonné, et il n’est pas douteux qu’il fasse toujours partie des valeurs fondamentales de la République. 1989 : le Conseil d’État a rendu un avis, faisant valoir que le port d’insignes religieux n’est pas a priori une entorse à la laïcité, à condition que les personnes concernées s’interdisent tout prosélytisme et remplissent normalement leurs obligations scolaires, sans troubler l’ordre public.











CL°
- Rappeler les grandes étapes du processus de laïcisation de la République :
- la laïcisation de l’enseignement par les grandes lois scolaires (école laïque en 1882) par Ferry
- la séparation E/E en 1905, projet d’Emile Combes que fait voter son successeur Rouvier.
- Ce n’est pas un hasard si c’est cette République (la troisième) qui est parvenue à imposer le concept de laïcité. C’était vital pour l’assise juridique d’un tel régime qui se veut en outre porteur de valeurs universelles
- La laïcité de l'État, c'est d'abord la revendication politique en doctrine de sa nature, mais c'est plus encore la traduction institutionnelle en droit de cette volonté.
- À une laïcité de combat a donc succédé une conception moins rigide de la notion qui définit la laïcité comme une neutralité, solution la mieux à même, selon les pouvoirs publics, de conserver le pacte républicain sans en exclure des populations d’origine étrangère, dont certaines voient dans l’affirmation religieuse un moyen de pérenniser leur identité.

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