mardi 25 mai 2010

les mythologies politiques françaises

Mythes et mythologies politiques

Intro : définition du mythe est multiple :
1) récit qui se réfère au passé et relate comment une réalité est venue à l’existence, à partir d’exploits d’être +/- fabuleux (=> par extension, grandes figures ds lesquelles une nation/scté reconnaît ses valeurs fondamentales)
2) confusion avec la notion de mystification : écran entre la réalité des faits et les exigences de la connaissance
3) fonction d’animation créatrice, appel au mouvement et à l’action, stimulateur d’énergie (lecture de G. Sorel)
ð la mytho politique se structure et s’affirme en fonction de ces trois dimensions
mythe politique fondamentalement polymorphe et ambigu : multiples résonances et significations qui peuvent être opposées
entreprise de R. Girardet : explorer l’imaginaire politique et l’effervescence mytho, phénomène qui échappe à toute rationalité ; méthode = définir les contours de cette mythologie, dégager les structures fondamentales, explication puis interprétation.

I. Présentation des quatre mythes étudiés par R. Girardet
1. La conspiration et le spectre du complot
Au centre, l’image d’une organisation pyramidale dirigée par une autorité anonyme dans laquelle l’indvd est happé, avec comme caractéristiques : le secret ; un objectif = la domination du monde, une mainmise sur tous les peuples ; un moyen = la manipulation pour susciter la désagrégation morale des êtres, avec une stratégie multidimensionnelle (de l’appareil politique à tous les domaines de vie collective, mœurs, organisation familiale, …). Conspirateurs = éléments exogènes et non identifiés, exclus du corps social, soumis à leurs propres lois et impératifs.
Trois images de complots : juif, jésuite, franc-maçon.
2. Le sauveur
Deux exemples : A. Pinay, « héros de la normalité » (le mythe s’est construit en l’absence d’éléments habituellement considérés comme exemplaires) et Tête d’Or (Paul Claudel), « héros de l’exception », brusque irruption d’un sauveur à la tête du pouvoir.
Quatre modèles/types de sauveurs :
Cincinnatus : vieil homme politique qui s’est illustré dans la vie politique puis qui a pris sa retraite loin des tumultes de la vie publique. Rappelé par l’angoisse d’un peuple qui le pousse à interrompre sa vie paisible. (« fait don de sa personne », cf Pétain). Rôle = apaiser, protéger, restaurer. Doumergue, 34, Pétain, 40, DG, 58
Alexandre le Grand : Napoléon
Solon : homme providentiel, père fondateur dont la sagesse fait légitimité qui est sacralisé. Pétain au début de la Rvlt° Nationale (fondateur d’un « ordre nouveau »), DG en 58 = principes et règles d’une Rpblq nouvelle.
Moïse : le prophète, annonciateur des temps futurs, il lit dans l’histoire ce que les autres ne voient pas encore. Cf DG, dans la vision qu’en a A. Malraux : processus d’identification du destin individuel et collectif (DG et France). Il a « porté la France en lui ».
3. L’âge d’or
Constitué par des images nostalgiques, construites en opposition à l’image d’un présent qui connaît déchéance et tristesse. Soucis de conserver la trace des temps anciens. Attention portée à la pureté des origines (culte de l’innocence, du primitif, du naturel) et aux grandes époques du passé (Grèce Antique). Appels au ressourcement dans le passé, retours vers le temps sublimé du commencement (cf « refaire 1789 », « revenir au gaullisme de DG », …). Vision d’un temps non daté, non mesurable, au début de l’aventure de l’humanité. Attachement au modèle rural (par opposition à la ville corruptrice, et condamnation de la civilisation). Malaise face à une société moderne dont l’accélération du progrès menace les équilibres anciens.
4. L’unité
Construit par opposition avec la pluralité/société avec divisions et divergences, qui résulte de la liberté et de l’autonomie individuelle => société homogène et cohérente. Objectif = « reconstitution des fondements moraux et religieux de la politique ». Thème de la patrie. Effort pour rétablir « une volonté une et régulière » qui viendrait se substituer aux volontés divergentes. Image du banquet = repas pris en commun.


II. Naissance et construction de la mythologie politique
1. Du récit historique à la fabulation légendaire : une démarcation difficile à établir
* dans le cas du mythe du sauveur : un processus d’héroïsation organisé en trois périodes successives et qui aboutit à une transmutation du réel, absorbé dans l’imaginaire. 1) le temps de l’attente et de l’appel (=formation et diffusion de l’image d’un sauveur désiré qui cristallise les espoirs collectifs) 2) temps de l’avènement, du sauveur enfin survenu (fort poids de la manipulation volontaire des consciences dans l’élaboration mythologique). 3) temps du souvenir et de la relecture postérieure avec souvent une modification de la figure rejetée dans le passé.
Plus le mythe prend de l’ampleur, plus il s’étend sur un large espace chronologique et se prolonge dans la mémoire collective avec une attention portée aux détails : biologiques, physiques (cf haute taille de DG).
La mutation de la réalité au mythe nécessite que le sauveur soit conforme aux modèles d’autorité en vigueur dans la société. Ex : conscience nationale se construit autour de deux pivots : responsabilité et respectabilité sociale de l’instituteur et de l’officier, explique ferveur de l’adhésion à Pétain (autorité morale d’un instit, grades militaires) + le surcroît d’autorité de DG vient de l’importance du rôle tenu par l’armée ds identité française (insignes du commandement milit).
* mythe de la conspiration : la différence entre réalité et relecture par le mythe s’explique souvent par une réaction paranoïaque de la société, qui se sent menacée par les bouleversements de la modernité naissante. Ex : antisémitisme, la réalité statistique ne montre aucune présence juive importante. Inquiétudes et incertitudes se cristallisent dans ce cas autour de l’image maudite du juif ou du franc-maçon omniprésent, spoliateur et conquérant.
* mythe de l’age d’or : le « temps d’avant » est effectivement vécu, puis rêvé. Travail du souvenir => sélection, transmutation des éléments réels. Le passé auquel on se réfère n’a pas été directement connu comme tel. Dans les 20’s, idée entretenue de la possibilité d’un retour à l’avant guerre dont le statut est enjolivé par la mémoire (donc qui relève du mythe) comme « Belle Epoque ». Dans les 70’s, contestation de la société de consommation
2. Moments d’effervescence et temps faibles
La mythologie connaît des périodes d’intensité variable : poussées d’effervescence quand l’évolution économique et sociale se précipite et que le processus de changement s’accélère. Le mythe s’enracine, prend corps et se diffuse dans périodes et zones de fragilité et fracture sociale (le tissu social se défait, espoir de reconstitution par le mythe). S’affirme avec netteté dans les « périodes critiques » = mutations de la scté et des modes de vie.
3. Une symbolique récurrente et caractéristique
* mythe du sauveur : principes de continuité, de stabilité, valeurs de permanence et de conservation : la Terre, la maison (cf Pétain et RN). Images symboles de verticalité et de lumière = arbre qui se dresse et protège (DG, Pétain), torche qui brûle et éclaire, phare, colonne, …
* mythe de l’age d’or : culte de la France monarchique, du système de l’Ancien régime (un des postulats de base du maurrassisme, par opposition à la démoc parlementaire). Fréquence répétitive de formules qui font référence à l’innocence, la quiétude, la concorde, l’amitié, la confiance, la sureté. Images de l’enclos, du jardin, de l’île, du temple, du clocher, …
* mythe de l’unité : fréquence de la référence à la frontière dans l’iconographie
* mythe de la conspiration : Bestiaire utilisé = ce qui rampe, s’infiltre, se tapit, aspire, visqueux (araignée => image privilégiée, tend ses pièges avec une patience infinie, enveloppe sa victime et l’engloutit, serpents, sangsues …) + image du vampire qui suce le sang de ses victimes. Symbolique du feu, purificateur et rédempteur, efface les souillures, dissipe les angoisses et fait reculer les puissances des ténèbres.


III. Les fonctions sociales des mythes
1. Une société en crise
Société en crise et angoisse, marquée par l’incertitude = ferment pour la construction d’un mythe. Ex : crise de légitimité, ou d’identité qui se reconstruit par l’adhésion à qqchose/qqun de neuf (sauveur). Grandes peurs collectives (toutes les origines sociales), avec une intensité plus ou moins lourde, plus ou moins oppressante. Réminiscence des vieilles peurs enfantines ?
L’imaginaire réagit contre un changement et un désenchantement (au sens wéberien…) que la société ressent comme une agression.
Arrière plan d’inquiétude à la base de la volonté d’unité = malaise sociétal, crainte d’un affrontement des valeurs avant unies (effet négatif de la société moderne, de l’individualisme et du progrès), + charge de religiosité avec identification à Dieu qui lui est Un.
Double finalité de l’imaginaire mythologique = fonction de restructuration psychique et de réinsertion sociale (pour M. Barrès = « agent de socialisation des âmes »)
Durkheim : « Quand la société souffre, elle éprouve le besoin de trouver qqun à qui elle puisse imputer son mal, sur qui elle puisse se venger de ses déceptions. »
2. L’expression d’une société déséquilibrée et désorientée
* mythe du sauveur : passé d’ordre, de gloire rappelé au secours d’un présent de confusion.
Adéquation entre la personnalité du sauveur et les besoins de la société à un moment donné.
2 images : - Substitut de l’autorité paternelle, sentiment de respect et dévouement pour le protecteur. Chargé d’apaiser, de rétablir la sécurité, de faire front face aux menaces pour assurer la perpétuation de la communauté dont il porte la responsabilité. Fonction essentielle = gardien de la normalité dans la succession du temps.
- chef de bande, meneur et initiateur qui s’impose comme un modèle fascinant, dont il faut mériter l’estime par sacrifice (ex de la fièvre boulangiste qui s’empare des jeunes pour M. Barrès)
* mythe de l’age d’or : la ville est le modèle de la société moderne, régie par lois du profit et règles du marché => corruption. Retour à la terre est condition première d’une régénération des mœurs (Pétain : « la terre, elle, ne ment pas »). Péguy : le peuple a disparu, contaminé par la toute puissance de l’argent et l’avènement d’une basse bourgeoisie. Mythe oscille entre regret et espérance, entre évocation nostalgique et attente du retour de cet age d’or.
3. L’expression d’une société contestataire
* mythe de l’unité : toute bonne politique est impossible si la société souffre de division. Le mythe, très dvlppé pendant la IIIème Rpblq (à cause de l’incertitude institutionnelle qui règne, de la violence des affrontements religieux et de la profondeur des débats religieux), a donc une double finalité : explicative et mobilisatrice. L’exigence de l’unité se trouve au centre de la pédagogie historique : le narrateur ne peut faire preuve de neutralité, ne doit jamais donner raison à deux partis à la fois. La vérité historique est un impératif d’ordre moral. La pédagogie associe à Patrie les termes du vocabulaire religieux, liturgique et dogmatique (le plus sacré, le plus grand…)
* mythe de la conspiration : le complot judéo-maçonnique incarne l’Anti-France (formule chargée du poids des frayeurs ancestrales), apparaît comme un groupe de pression politique et instrument de contrôle idéologique. La vieille France chrétienne se sent atteinte au plus profond de sa foi et de ses fidélités lorsque la république amplifie le mvt de laïcisation de la scté (mesures anticléricales), accompagné d’un bouleversement des modes de vie traditionnels. Les faits sont ramenés par une logique inflexible à unique causalité : juif, franc-maçon, etc (l’explication se veut totale et claire, donc plus convaincante) => permet de rétablir une forme de rationalité/cohérence dans le cours déconcertant des choses.


Conclusion : nécessite de reconnaître sa juste place à mythologie plutôt que de passer outre de fait de la supériorité créatrice de l’intelligence, de son incomparable capacité d’invention et de renouvellement. Chaque mythe politique contient en lui même une vision globale et structurée du présent et du devenir collectifs. Mythologie exacerbée pendant Vichy avec l’idéologie de la Rvltion Nationale (on retrouve plusieurs des mythes, et à plusieurs niveaux). Un mythe est déterminant et déterminé : issu de la réalité sociale, il est aussi créateur de réalité sociale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire