jeudi 13 mai 2010

La grande industrie en France au 20ème siècle

Définition de la grande industrie : au début du siècle, se définit par un secteur de production de biens matériels à grande échelle, c'est à dire supposant une division du travail (à l'inverse de l'artisanat), ayant un poids économique national voire international, concentrant en un espace réduit de grande quantités de main d'oeuvre et de moyens de production, brassant des capitaux élevés. Il faudra voir si cette définition a toujours caractérisé la grande industrie durant le vingtième siècle.

Quelles bornes ici ? 20ème siècle, c'est vague, il faut choisir le début ! On peut démarrer aux débuts de la Belle Époque, dans les années 1895. La grande industrie à l'époque, c'est surtout l'usine. La seconde révolution industrielle (électricité, nouveaux métaux comme l'acier, moteur à explosion...) et un retour au dirigisme permettent un nouveau dynamisme de l'industrie française, et surtout de la grande industrie (puisqu'on parlera de France duale, d'une partie exclue du dynamisme, ce qui dans le cas de l'industrie concerne la petite industrie artisanale notamment).

Périodisation : 1895-1914 Une grande industrie en expansion... limitée
1914-1958 Guerres et reconstructions, quelle évolution ?
1958-1990s La grande industrie sous la cinquième : crise ou mutations ?

Problématique possible : La France a-t-elle réussi au cours du vingtième siècle à rattraper le retard industriel qu'elle accusait en 1895 ?


I. 1895-1914 : l'expansion insuffisante

1.1. L'héritage du XIXème siècle
La révolution industrielle commence dès les années 1830 en France. Apparaît alors une véritable grande industrie (au sens moderne du terme), qui se démarque de l'artisanat ou de la petite entreprise industrielle. Les deux secteurs clés sont sans doute la sidérurgie (exemple des usines Schneider) et le textile. Les nouvelles énergies (charbon) et les nouvelles machines augmentent la productivité, et les premières concentrations se créent. Les mines du nord-est jouent un rôle moteur dans cette industrialisation du XIXème siècle. De manière générale, la France est divisée le long d'une ligne Le Havre-Marseille. Avec des pôles industriels au Nord-Est (sidérurgie, mines...), à Saint-Étienne (métallurgie). Une industrie qui repose aussi sur des nouvelles structures financières, qui permettent la naissance d'un capitalisme industriel à la fin du 19ème siècle avec les premières usines. Par exemple, le développement des usines de sidérurgie résulte de concertations au sein du Comité des Forges, qui regroupes les grands industriels de ce secteur et qui sera par la suite le principal lobby industriel du début du siècle.
La grande dépression (1873-1895) frappe fortement l'industrie française qui voit sa production reculer, et la frilosité du capitalisme français limite son développement. A la fin du siècle, l'industrie retrouve son dynamisme.

1.2. Le dynamisme retrouvé de la grande industrie
Le retour du dynamisme dès 1895 est dû à un retour du protectionnisme, ainsi qu'un renouveau de l'industrie française. La grande industrie se diversifie : apparition de l'aluminium, du caoutchouc. Des grands chantiers relancent les secteurs de production industriels : le « métropolitain » parisien est mis en chantier en 1895 et inauguré en 1900, le Plan Freycinet de 1879 (chemin de fer) porte des projets qui sont réalisés jusqu'en 1914.
La grande industrie du début du siècle est nouvelle, notamment du point de vue de ses méthodes : on rationalise les taches de production et les méthodes du taylorisme (une nouvelle division du travail) sont mises en oeuvre. L'entreprise accorde plus qu'avant une importance à la recherche scientifique et l'ingénieur occupe une place plus importante dans ce secteur. La grande industrie à cette époque se constitue donc autour de grandes entreprises concentrées et clairement hiérarchisées : les dirigeants et responsables / les ingénieurs et scientifiques / les ouvriers. Elle concentre les « anciens » secteurs de production comme la sidérurgie et le textile, mais s'élargit à d'autre plus modernes comme la chimie (usines du Rhone, Péchiney), et surtout l'automobile.
C'est en effet l'industrie automobile qui incarne le mieux le dynamisme industriel francais du début du siècle, avec les usines Renault, ou Berliet (qui à l'époque produit des voitures, pas de camions avant la premiere guerre mondiale). (Attention, Citroën n'existe pas encore : 1919 !). Elles donnent une impulsion à l'ensemble de la filière industrielle. A noter aussi l'importance des usines aéronautiques, ou électroniques (Thomson)


1.3. Quel place à l'international ? / La faiblesse française
Certes, un nouveau dynamisme et une expansion de la grande industrie, mais un constat à nuancer, surtout sur le plan international. La France est très en retard tant dans la production que dans l'implantation géographique industrielle si on la compare avec ses voisins européens (Angleterre ou Allemagne), ou les USA. Cela est avant tout dû à une faible présence de la grande industrie, même si elle est dynamique. La France est duale, séparée en deux (ligne Le Havre Marseille). Un territoire où cohabitent deux system : le factory system de la grande industrie, et le petit artisanat qui domine malgré tout. La grande industrie n'existe que sur certaines parties du territoire, autour de quelques pôles rapidement énumérés (Paris, Saint Etienne, Lyon, Nord-Est...). La Grande Industrie est aussi une des causes de la montée des mouvements sociaux qui caractérisent la période 1890-1914. La CGT est crée en 1895, et les ouvriers revendiquent de meilleurs condition de travail. La montée du syndicalisme constitue avant tout une réponse à ce développement rapide d'une grande industrie qui serait responsable de l'aliénation d'une partie de la force de travail de l'ouvrier.

L'éclatement de la Première Guerre Mondiale met un frein au développement industriel de la Belle Epoque.

II. 1914-1958 : guerres et reconstructions

2.1. La première guerre mondiale : un bilan dual pour la grande industrie
La France doit faire face à une insuffisance chronique de production militaire en 1914. L'ensemble de la grande industrie est donc tournée vers l'économie de guerre. Les usines Renault produisent des obus, Berliet fournit les camions à l'armée française, les usines chimiques produisent aussi pour la guerre.
Mais le bilan est double :
- La grande industrie fonctionne à plein durant la période, et est modernisée.
- Seulement, ce constat ne s'applique qu'aux secteurs militaires. Par conséquent, des domaines comme le textile se retrouvent complètement sacrifiés et souffrent d'un retard à la fin de la guerre. Par ailleurs, nombreux dégâts matériels au Nord du pays.

2.2. L'entre deux guerres : débuts d'une mutation
La reconstruction des années vingt permet de relancer l'industrie. L'inflation caractéristique des premières années de la décennie pousse les industriels à trouver de nouvelles techniques et à réaliser des investissements importants. La séparation dans les entreprises entre unité de production / secteur de management / recherche, se généralise, tout comme le travail à la chaîne.
Une question jusqu'alors non évoquée se pose dans les années vingt pour la première fois : celle de la collusion entre le milieu des grands industriels et la politique. En effet, l'expérience du cartel des gauches et la chute d'Édouard Herriot (1926) témoignent d'un rôle nouveau que peuvent jouer les « 200 familles » en politique : les puissances financières disposent de fort moyens de pression et peuvent faire chuter le gouvernement. Les liens importants qu'entretiennent ces puissances financières et bancaires avec le secteur industriel, et notamment la grande industrie posent donc une nouvelle question : le lobbying.
Les années vingt voient aussi les premières sociétés d'économie mixte : c'est le cas des aménagements hydroélectriques des vallées alpines. Cette nouvelle modernisation de la grande industrie est ralentie avec la crise des années 30. Le dirigisme (exemple des sociétés d'économie mixte) est contesté, jugé comme inadapté au redressement économique et le courant technocratique se constitue autour de polytechniciens et d'industriels dans le groupe X-crise : ses membres préconisent une politique économique concertée, qui émanerait des industriels eux-même. Cela renvoie là aussi à la question du rôle politique que pourrait avoir la haute hiérarchie de la grande industrie.

2.3. La seconde guerre mondiale et ses impacts sur la grande industrie pendant la reconstruction
La seconde guerre mondiale, et surtout l'occupation posent la question de la collaboration industrielle : les grands patrons sont face à un dilemme : collaborer et fournir à l'Allemagne ce qu'elle demande en biens industriels, ou refuser la collaboration, ce qui signifierait une disparition de l'entreprise, et la suppression de nombreux emplois (avec une forte probabilité pour les employés mis au chômage de devoir partir travailler dans l'Allemagne nazie). Ainsi, globalement la grande industrie collabore et l'Allemagne « pompe » ainsi une très grande majorité de la production industrielle française.
La grande industrie ressort fortement touchée du conflit, la production ayant reculé de plus de 50ans en 1944 ! Les bombardements en sont la cause première. La reconstruction sous le gouvernement provisoire et la quatrième république va profondément modifier les traits de la grande industrie française.
La politique adoptée est celle du dirigisme, ce qui constitue une nouveauté, puisque les seules tentatives du genre étaient les sociétés mixtes des années vingt, rapidement remises en cause. Les nationalisations s'opèrent en deux vagues, et concernent la majeure partie des grandes entreprises industrielles de l'époque : Renault, usines Gnôme et Rhone (moteurs d'avion), Houillères du Nord, Electricité, et Gaz sont entièrement nationalisées, puis au cours de l'année 48 des sociétés d'économie mixte sont mises en place dans les transports (RATP, Air France). C'est une nouvelle donne industrielle, qui se complète d'un nouvel impératif pour les entreprises : le respect du plan. Celui ci doit permettre à terme de reconstituer le capitalisme français. Pour un dirigisme efficace, le gouvernement demande en 1945 aux chefs d'entreprise de constituer un groupe qui soit un interlocuteur privilégié : c'est la naissance du Conseil National du Patronat Français (CNPF, futur MEDEF en 98).
Cette reconstruction se poursuit, et la grande industrie permettrait à la France de « rentrer dans le rang », de redevenir une puissance mondiale. C'est l'âge d'or de la grande industrie avec l'entrée de la France dans la CECA (1951), la banalisation de l'automobile, les importations de pétrole qui permettent l'essor de la plasturgie et la chimie. Ce sont aussi des années faste pour l'électronique qui voit sa production quadrupler de 52 à 58.
Donc une économie concertée, voire dirigée, qui confère une place importante à la grande industrie.

III. 1958-1990 : la grande industrie sous la cinquième : crise ou mutations ?

3.1. La grande industrie dans les trente glorieuses : l'internationalisation de la grande industrie
En 1958 on peut considérer la reconstruction comme terminée, et De Gaulle va inscrire sa politique économique dans la logique de la quatrième : substituer peu à peu le libéralisme au dirigisme pour que la grande industrie s'ouvre à la concurrence internationale. Les trente glorieuses sont donc une période au cours de laquelle l'état favorise les investissements privés dans la grande industrie. Celle-ci se modernise, pour pouvoir peser à l'extérieur. Les objectifs des plans changent : il ne s'agit plus de produire au maximum, mais de moderniser et d'investir. La CECA puis la CEE (1957) multiplient les échanges extérieurs : l'industrie s'internationalise. Les fusions sont encouragées, comme dans le verre (Saint Gobin-Pont à Mousson), l'aluminium (Péchiney-Ugine-Kuhlmann). Dans les secteurs concurrentiels de la grande industrie, l'artisanat disparaît peu à peu. La DATAR est créée en 63 pour remédier aux problèmes de disparités spatiales de l'implantation industrielle.
Dès 69, la politique économique de Pompidou accentue « l'impératif industriel ». Il met l'accent sur de grands projets qui seront les symboles de la grande industrie Française (Airbus dès 1969, Ariane en 72). La politique d'encouragement aux fusions d'entreprises est maintenue. La DATAR encourage les décentralisations et la création de « métropoles d'équilibre » comme Toulouse pour Airbus. L'ensemble de l'industrie passe définitivement du charbon au pétrole, et une nouvelle énergie est adoptée dès 69 : le nucléaire. De grands secteurs industriels se détachent dans le monde entier, comme l'électronique, l'aéronautique, et surtout l'automobile (Peugeot-Renault-Citroën). Cela vient du fait que la politique industrielle donne plus de priorités à certains secteurs jugés stratégiques. L'industrie militaire connaît un nouvel essor avec des productions d'armement (et des exportations...), la construction navale, la force de dissuasion nucléaire... la politique militaire est aussi à l'origine de cet essor industriel nouveau et moderne, qui donne désormais à la grande industrie française un poids mondial.

3.2. Depuis 1974, fin de l'expansion
Après le choc pétrolier, le fait que la France (et le monde) entre dans la crise sonne le glas de l'expansion industrielle. La croissance économique diminue, et la grande industrie perd sa dynamique passée. Pour autant, les projets initiés auparavant se maintiennent, et cette relative stagnation n'empêche pas les succès industriels : Ariane, Airbus, sont deux projets d'initiatives française qui contribuent au rayonnement industriel de l'Europe. La grande industrie a changé durant les trente glorieuses, et les dernières années du vingtième siècle ne remettent pas en cause ces changements : l'industrie s'est internationalisée (multiplication des fusions, facilitées par la construction européenne), les fusions se sont multipliées. La grande industrie s'organise désormais autour de grands groupes financiers qui gèrent différentes branches de production. Mais un constat important n'a pas été abordé : la grande industrie française de la fin du vingtième siècle comporte des branches en déclin. Il s'agit des industries dites « traditionnelles » et des industries lourdes. Progressivement, l'industrie de pointe a remplacé les secteurs tels que la sidérurgie, le textile, la métallurgie...

3.3. Deux tendances majeures : déclin numérique et spécialisation croissante
Depuis les années 70, le nombre de travailleurs du secteur industriel a fortement baissé. De nombreuses branches de la grande industrie ont disparu, laissant place à l'industrie moderne des trente glorieuses. Pourtant la part de l'industrie dans le PIB n'a pas diminué (elle a augmenté fortement sous les trente glorieuses). Une industrie spécialisée, moderne, de haute technologie, que l'on a nommé industrie de pointe constitue désormais la grande industrie Française. La mondialisation a été la source de ces mutations : la France s'est spécialisé dans des domaines rentables. L'automobile, l'aéronautique, et la construction ferroviaire (Alsthom) sont parmi les rares secteurs prédominant au début du siècle qui se sont maintenus et qui continuent de peser dans le paysage industriel. Certains secteurs sont ainsi en crise (délocalisations), mais globalement, la grande industrie est en mutation.
La carte industrielle a ainsi été modifiée. Le nord-est est aujourd'hui en cours de « désertification », du fait du déclin des industries traditionnelles, tandis que se développent de nouveaux pôles, Toulouse par exemple. Sont apparus des « technopoles » qui regroupent production industrielle de pointe, recherche scientifique, et enseignement. Ils sont surtout localisés au Sud et à l'Ouest du pays. C'est donc une nouvelle géographie industrielle qui s'est mise en place.
Ces mutations ont permis l'émergence d'une industrie qui contribue aujourd'hui à la grandeur de la France à l'international. La mondialisation a par ailleurs divisé les taches de production, et les a distribué dans différent pays, ce qui fait qu'aujourd'hui les succès industriels sont de plus en plus collectifs (exemple de la production aéronautique en Europe, avec des usines spécialisées dans une pièce).

Conclusion :

On peut peut-être conclure sur un paradoxe, de la grande industrie en France : au niveau national, un relatif déclin (puisque le nombre d'emplois y a diminué, et que les industries traditionnelles ont disparu), mais la grande industrie française hisse désormais le pays à un haut rang mondial, ce qui n'était pas le cas au début du siècle.

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