jeudi 27 mai 2010

La Place du sénat sous la III° République.

Après la chute du Second Empire et l’épisode de la Commune, c’est une Chambre des députés majoritairement monarchiste qui dote finalement la France d’une constitution républicaine promise à une longévité exceptionnelle : la IIIe République va durer soixante-cinq ans ! La Constitution de 1875 limite considérablement le pouvoir du président de la République. Celui-là n’est pas élu au suffrage universel direct mais par les deux Chambres réunies en congrès. Chacun de ses actes doit être contresigné par un ministre - et la Constitution prévoit que les ministres sont responsables devant les Chambres de la politique du gouvernement. Seule parade de l’exécutif contre une majorité hostile à sa politique : il a le droit de dissoudre la Chambre des députés. Mais cette dissolution doit être approuvée par le Sénat.
Pour la première fois, le nouveau Sénat dispose de pouvoirs identiques à ceux de la Chambre des députés. Il compte trois cents membres, qui doivent être âgés de plus de quarante ans : deux cent vingt-cinq d’entre eux sont élus par un collège restreint pour neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans ; soixante-quinze sénateurs inamovibles sont désignés par la Chambre des députés et par le Sénat. Comme sous la première Restauration et la Monarchie de Juillet, le Sénat, constitué en Haute Cour de justice, a des compétences judiciaires. Il peut juger les crimes de haute trahison commis par le président de la République ou les ministres, ainsi que les attentats contre la sûreté de l’Etat. Conçu pour faire contrepoids à une Chambre des députés élue au suffrage universel direct, le Sénat est élu par les députés, les conseillers généraux et les délégués des conseils municipaux (un par commune, quelle que soit sa population, soit quarante-deux mille électeurs pour toute la France). Ce mode d’élection doit en faire le représentant privilégié des petites communes rurales et, espèrent les conservateurs, un bastion de la tradition. Très vite, une première épreuve de force s’engage entre le monarchiste Mac-Mahon, premier président de la nouvelle République, et les républicains. Ces derniers en sortent renforcés et cherchent, avec succès, à conquérir le bastion du Sénat. Au premier renouvellement par tiers, en janvier 1879, les républicains modérés obtiennent, avec soixante-six des quatre-vingt-deux sièges renouvelés, la prépondérance à la Chambre Haute. Les Chambres, désormais toutes deux acquises à la cause républicaine, consolident le régime par quelques mesures spectaculaires : adoption de la Marseillaise comme hymne national, fixation de la fête nationale au 14 juillet. Etablies à Versailles depuis que la Chambre des députés y avait pris ses quartiers pendant la Commune de Paris, elles décident aussi le 22 juillet 1879 de revenir siéger à Paris, malgré l’hostilité de nombre de sénateurs envers ce retour. “L’Assemblée à Paris, c’est Paris maître de la France, l’Assemblée à Versailles, c‘est la France maîtresse de ses destinées”, s’exclame le sénateur Laboulaye. Pendant la période des grandes réformes, le Sénat affirme son pouvoir. Après le cabinet Tirard en 1890, c’est au tour de Léon Bourgeois de se retirer, à la session du printemps 1896, devant l’opposition des sénateurs . Mais le parlementarisme républicain n’a pas que des partisans et le pays est, pendant cette période, secoué par deux crises majeures - la menace boulangiste et l’affaire Dreyfus .
Le président du Sénat, Loubet, est élu président de la République en 1899 dans un climat tendu, marqué par le déchaînement de l’opposition nationaliste. Il confie à un sénateur, le républicain modéré Waldeck-Rousseau, la formation d’un gouvernement de “défense républicaine” et le soin de ramener la stabilité dans le pays. Cet avocat nantais engage la lutte sur un double front. Il fait juger par le Sénat réuni en Haute Cour les chefs des ligues, Déroulède et Jules Guérin. Il affaiblit le pouvoir des congrégations religieuses en faisant voter le 2 juillet 1901 la loi sur les associations qui prévoit la liberté des associations laïques, mais limite et contrôle le droit d’association des congrégations. Son successeur, le “petit père Combes” poursuit et “radicalise” l’œuvre de laïcisation entreprise par Waldeck-Rousseau, en appliquant de façon restrictive la loi sur les associations (presque toutes les autorisations sollicitées par des congrégations religieuses sont refusées par la Chambre) et en faisant voter le 9 décembre 1905 la loi sur la séparation de l’Église et de l’État. Mais le Bloc des gauches, vainqueur des élections de 1902 qui ont porté Combes à la présidence du Conseil, s’effrite peu à peu. Combes doit démissionner en 1905.
En janvier 1906, Armand Fallières, président du Sénat, succède à Émile Loubet à l’Élysée et charge Georges Clemenceau, sénateur et leader du parti radical, alors âgé de soixante-cinq ans, de former le gouvernement. Malgré la longévité de son ministère - il se maintient jusqu’en 1909 - le “Tigre” est loin de réaliser toutes les mesures radicales affichées à son programme. L’instauration de la journée de travail à huit heures pour les mineurs, du principe des habitations à bon marché ou des retraites ouvrières voient bien le jour, mais le projet d’un impôt sur le revenu, adopté par la Chambre, se heurte à l’opposition du Sénat.
S’ouvrent alors six années d’instabilité ministérielle pendant lesquelles dix cabinets se succèdent à la tête du pays. L’antiparlementarisme progresse dans l’opinion. Pour l’enrayer, Briand, successeur de Clemenceau à la présidence du Conseil, préconise l’adoption de la représentation proportionnelle, ce qui permettrait aux électeurs de se prononcer sur des programmes d’intérêt général. Adopté à la Chambre, le projet est arrêté au Sénat, forteresse des nouveaux notables radicaux, principaux bénéficiaires du scrutin d’arrondissement. En 1913, un sénateur, Raymond Poincaré, qui a été président du Conseil en 1912, est élu président de la République à cinquante-deux ans.La ratification du traité de Versailles, en 1919, donne lieu à un long débat parlementaire et constitue le dernier acte important de la Chambre élue en 1914. Les premières législatives de l’après-guerre, en novembre 1919, portent sur les bancs de la Chambre des députés une majorité “Bleu horizon”, comportant un grand nombre d’anciens combattants.
Au Palais-Bourbon, la majorité revient à une coalition des droites, le “bloc national”, tandis qu’au Sénat, les élections donnent la majorité aux radicaux. Soupçonné d’aspirer secrète-ment à la dictature, Clemenceau, le “Père la Victoire”, est écarté de la candidature à la présidence de République au profit de Paul Deschanel. Après Millerand, qui a succédé à Deschanel à peine élu, c’est à nouveau un président du Sénat, le radical modéré Gaston Doumergue, qui s’installe à l’Elysée en 1924. Il fait appel à Edouard Herriot, président du parti radical, pour constituer le gouvernement. Mais le pays est en proie à une grave crise financière. Pour faire face au déficit budgétaire, le gouvernement Herriot doit faire appel à des avances de la Banque de France, dépassant ainsi le plafond autorisé de circulation monétaire. Mis en minorité sur cette question devant le Sénat, Herriot démissionne le 10 avril 1925. L’instabilité ministérielle s’installe à nouveau, jusqu’au retour aux affaires de Raymond Poincaré en juillet 1926. Il parvient à se maintenir pendant trois ans avant de céder la place à plusieurs cabinets modérés.
Elu à la présidence de la République en mai 1931, Paul Doumer est assassiné un an plus tard par l’anarchiste Gorguloff. Albert Lebrun, comme Doumer ancien président du Sénat, lui succède. Sur fond de crise économique, les ministères de son septennat sont voués à l’éphémère : certains sont renversés le jour même de leur présentation devant la Chambre ! Depuis la crise du 16 mai 1877, aucun président de la République n’a osé recourir à nouveau à la dissolution de la Chambre. Résultat : l’exécutif est paralysé, les Chambres font et défont les cabinets.
Les chefs de gouvernement déplorent amèrement “la tyrannie de la séance”. L’antiparlementarisme connaît alors une nouvelle poussée de fièvre, alimentée par des scandales auxquels sont mêlées des personnalités politiques (affaire Hanau, scandale Oustric, affaire Stavisky).
La crise du régime culmine le 6 février 1934, quand des anciens combattants, des membres des ligues et les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque marchent sur le Palais-Bourbon. Daladier résiste au coup de force, mais doit démissionner le lendemain. A nouveau, les ministères se succèdent, jusqu’aux élections de 1936 qui voient la victoire du Front Populaire. Devenu le parti le plus représenté à la Chambre après les législatives de mai 1936, le parti socialiste revendique et obtient la présidence du Conseil, confiée à Léon Blum. Mais ce dernier se heurte à des difficultés économiques et politiques considérables et lorsque, le 15 juin 1937, il demande les pleins pouvoirs financiers, la Chambre des députés les lui accorde, mais le Sénat les lui refuse. Blum démissionne le 21 juin. En avril de l’année suivante, il se heurtera à nouveau à l’opposition du Sénat, et notamment à celle de Joseph Caillaux, président de la commission des Finances.
Eté 1940. Les troupes allemandes sont entrées en France, le gouvernement s’est replié à Tours et à Bordeaux, un exode massif pousse les civils sur les routes. C’est la débâcle. Président du Conseil depuis mars 1940, Paul Reynaud démis-sionne le 16 juin et c’est le maréchal Pétain qui forme le nouveau ministère et signe l’armistice de Rethondes. En juillet le gouvernement s’installe à Vichy. Le 10, l’Assemblée nationale (qui réunit Chambre des députés et Sénat) vote une révision des lois constitutionnelles de 1875. Seuls quatre-vingts parlemen- taires votent contre cette révision, qui donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain. Ce dernier promulgue aussitôt trois actes constitutionnels, dont l’un dispose que la Chambre des députés et le Sénat subsistent “jusqu’à ce que soient formées les nouvelles Assemblées”, mais sont ajournés. C’est la fin de la Troisième République.
→ voilà un bon résumé de la III° république, on voit les grandes évolutions et les grands blocages du sénat. Le sénat semble être le réservoir privilégie des grands hommes politiques.
Des petites mises au point :
-les lois sur le sénat : Loi du 24 février 1875 sur l'organisation du sénat + le Sénat est seul à pouvoir se constituer "en Cour de justice pour juger soit le Président de la République soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'Etat"(article 9 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat). + le Sénat donne son avis conforme au Président de la République pour la dissolution de la Chambre des députés (article 5 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs publics).
-Sénat possède l'initiative des lois . Est prééminent en matière législative sur la chambre des députés ( du moins dans les textes).
-régime parlementaire dualiste bicaméral caractérisé par l'équilibre entre pouvoirs législatifs et exécutifs( responsabilité ministérielle/droit de dissolution ) ainsi qu'au sein même de ces pouvoirs (président/ministres; députés/ sénateurs) Mais a pratique politique rompra cet équilibre. À l'inverse de la chambre des députés qui est élue au suffrage universel et symbolise la gauche en quelque sorte, le sénat apparaît comme conservateur et est le signe du compromis avec la droite monarchique encore très présente. Sénat occupe une place importante puisqu’elle dispose aussi bien de l’initiative que du vote des lois, pouvant en ce sens influer considérablement sur les décisions des députés. Le Sénat contrôle en quelque sorte la chambre des députés, et peut engendrer sa dissolution par l’intermédiaire du Président de la République. Malgré certaines attributions particulières, le bicaméralisme instauré entraine un réel équilibre entre les deux chambres. Pourtant, le fait que le Sénat ne puisse être dissous est un facteur important de supériorité par rapport à la Chambre des députés.
-La crise du 16 mai 1877 : Jules Simon, républicain, sera nommé président du Conseil en 1877. Du côté de la présidence, Mac Mahon se place en faveur d’un système dualiste, dans lequel les ministres auraient à la fois la confiance du Parlement, et celle du Président de la République. Le 16 mai 1877, face à la trop grande soumission du gouvernement (et donc du président du conseil) devant la majorité républicaine élue plus tôt à la Chambre des députés, Mac Mahon lui envoie une lettre de blâme. Ainsi, Jules Simon démissionne de son poste, et le duc de Broglie prendra sa succession. Aussi, la Chambre, ajournée pour un mois, redeviendra critique quant au côté antiparlementaire de Mac Mahon. Elle sera en conséquence dissoute par ce dernier. De nouvelles élections seront consécutives à la dissolution, amenant les républicains à une nouvelle victoire. Face à cette situation, Mac Mahon démissionne le 30 janvier 1879. Jules Grévy sera élu à sa place, établissant un pouvoir régi en grande majorité par les républicains. Le système se parlementarise alors.
-Quand la gauche républicaine devient largement majoritaire, les radicaux derrière Clémenceau réclament un approfondissement démocratique des institutions via la suppression du Sénat ainsi que de la fonction de président. Face à cette hostilité, en août 1884, la forme républicaine du gouvernement devient intangible, les membres ayant régné sur la France sont inéligibles et les sénateurs deviennent tous élus ( suppression des élus à vie).
-Instituée par les monarchistes, cette constitution doit faire consensus avec les républicains qui l'interprètent à leur façon.

Une idée d'intro et de plan :

Tantôt institution maîtresse du pouvoir délibérant, comme dans la Constitution de l'an VIII, tantôt abandonnée en faveur du monocaméralisme comme dans la seconde république, ce n'est qu'avec l'avènement de la Constitution de 1875 de la III° république acquiert sa légitimité au sein des institutions françaises. Et si, ainsi que le déclame Dufaure, la Constitution de 1875 est "avant tout un sénat", il convient de s'interroger sur la genèse de cette institution et sur les réponses qu'elle apporte à une période troublée de l'histoire qui place en elle ses espoirs.
Aussi étudierons-nous en premier lieu la naissance du sénat républicain lors de la IIIrépublique, puis nous questionnerons le rôle du sénat dans le fonctionnement institutionnel de la III°république.
Enfin nous montrerons en quoi le sénat constitue sinon un bastion conservateur et monarchique, du moins un défenseur de la stabilité institutionnelle de la III° république et un porte-parole du conservatisme économique et social.

I.De la genèse à la création du Sénat républicain
1.Les projets et rejets d'un Sénat conservateur
2.La création du Sénat : la loi organique du 24 février 1875
II.Place et rôle du Sénat au sein des instances républicaines
1.De l'élection et de la composition du Sénat
2.Le Sénat face aux institutions républicaines: attributions du Sénat et bicamérisme égalitaire. Problème de l'antiparlementarisme.
3.Le Sénat : sorte de réservoir d'hommes politiques futurs présidents
III.Le Sénat interprète et acteur de la IIIème République
1.Le Sénat défenseur de la stabilité institutionnelle
2.Un Sénat porte-parole du conservatisme économique et social
3.1.L'Anticléricalisme, reflet de l'ambiguïté de la IIIème République

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire