mardi 25 mai 2010

Le Parlement en France depuis 1946.

Depuis le XVIIIe siècle les démocraties se sont édifiées sur un modèle représentatif, avec un Parlement élu au suffrage universel, organe de la souveraineté populaire doté d’un pouvoir de délibération publique et de décision par le vote des lois. Si la France a connu une telle démocratie parlementaire, sans interruption depuis 1945, elle a vu se succéder deux Républiques, la IV e jusqu’en 1958, la Ve depuis. Parmi les différences caractérisant ces deux régimes, l’évolution de la place du Parlement est essentielle, omnipotent avant 1958, dont les pouvoirs sont ensuite plus limités et encadrés. Aujourd’hui, le Parlement est toujours l’objet d’un questionnement sur la nécessité ou non d’une revalorisation. L’histoire de ces 65 ans nous invite donc à nous interroger sur la place du Parlement dans la vie démocratique française. Dans quelle mesure en est-il l’expression ? L’importance du contexte politique mais aussi social nous conduira à distinguer trois moments chronologiques, celui de la IV e République, puis celui des années de Gaulle entre 1958 et 1969, enfin celui de la période post-gaullienne allant jusqu’aux élections présidentielles et parlementaires de 2007.


I/ Le Parlement sous la IVème République


Après la Libération en 1944, le Parlement se retrouve au centre de la vie politique française. Un large consensus règne parmi les Français pour restaurer la démocratie, mais sans les faiblesses du parlementarisme d’avant 1940 et avec le souci d’une plus grande égalité sociale. En toute logique, les forces politiques issues de la Résistance, mettent donc en place un régime le plus démocratique possible dans le cadre du modèle historique de la démocratie parlementaire : la Chambre des députés en est la pièce maîtresse : élue au suffrage universel ( droit de vote des femmes), au scrutin à la proportionnelle, elle est le principal organe de décision, en proposant et votant les lois, en élisant un Pt de la république aux pouvoirs restreints, en contrôlant le gouvernement, notamment par le vote de confiance, ou la motion de censure. Elle est en outre flanquée du Conseil de la République qui participe aussi au pouvoir législatif, mais sans avoir la même importance ni la même légitimité, puisque ne résultant pas d’un suffrage universel direct.

La Constitution de 1946 qui entérine ainsi la naissance de la Ive République donne donc naissance à un régime très pluraliste, reposant, pour fonctionner, sur l’entente entre partis politiques devant former une majorité parlementaire et gouvernementale, donc sur leurs capacités au compromis, leur sens des responsabilités et de l’intérêt général, leur aptitude enfin à pouvoir débattre et décider collectivement sans perdre de vue une efficacité nécessaire.

C’est ce qui semble se dessiner durant la période du tripartisme : trois partis, le PCF, la SFIO, et le MRP, regroupant 80% des députés décident de gouverner ensemble pour mettre en place les grandes lignes du programme du CNR. Les grandes réformes sociales de l’après guerre sont ainsi votées facilement.

Pourtant, dès 1946, le général De Gaulle, par sa démission de son poste de chef du gouvernement, puis par son discours de Bayeux condamne le nouveau régime : il dénonce la concentration des pouvoirs entre les mains des partis politiques, pour lui incapable de pouvoir dépasser des logiques politiciennes ; le Parlement qui est l’émanation de ce pouvoir ne peut donc qu’être inefficace d’autant plus que l’exécutif a peu de moyens de le contrôler : la procédure pour dissoudre la Chambre des Députés est complexe, le gouvernement peut être facilement renversé.

Les faits semblent donner raison à De Gaulle, puisque dès 1947, avec l’exclusion des communistes du gouvernement Ramadier, le tripartisme prend fin, et avec lui la possibilité de constituer une autre majorité parlementaire solide et durable. La France va renouer alors avec l’instabilité ministérielle qui avait affaibli la IIIe République avant 1940. 25 gouvernements se succèdent jusqu’en 1958. Cette valse des gouvernements traduit l’incapacité des partis à s’entendre sur les questions fondamentales posées à la France, à cette époque : la décolonisation, la guerre froide, les débuts de l’intégration européenne et la place de l’Allemagne dans cette construction, la laïcité. Une telle situation freine le processus de décision, et rend peu lisible les choix politiques des français, puisqu’entre deux élections législatives, peuvent se succéder des majorités parlementaires complètement opposées, qui ne mèneront pas la même politique : ainsi d’un gouvernement Pinay, marquant le retour de la droite aux affaires, en 1951, alors que la majorité des électeurs s’étaient portés sur des forces de gauche, cependant incapables de gouverner ensemble.

Il en résulte une montée de l’abstention mais aussi de l’antiparlementarisme, avec le mouvement de Pierre Poujade, l’UDCA. La situation devient assez inquiétante pour qu’en 1954, le centriste Pierre Mendès France tente la comparaison avec 1788 (un an avant la Révolution) et propose de faire évoluer les pratiques politiques : pas d’investiture préalable du gouvernement, rééquilibrage des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement, au-delà des institutions, désir de réconcilier les Français et la politique ( club de réflexion ouvert aux jeunes, création du premier hebdomadaire, l’Express, émission radiophonique hebdomadaire où PMF commente la vie politique de la semaine). Critiqué par nombre d’hommes politiques qui voient en lui un fossoyeur du Parlement, il est renversé avec son gouvernement dès février 1955.

Il ne reste plus alors à la IVE république qu’à disparaître : le 13 Mai 1958, incapables de faire face à la tentative de soulèvement des Français d’Algérie, les parlementaires font appel au général de Gaulle pour éviter la guerre civile. Son retour au pouvoir s’accompagne d’une condition : changer la Constitution.

La quatrième République ayant échoué à faire du Parlement le centre exclusif de la vie démocratique, la Ve va rechercher une efficacité des institutions en renforçant le pouvoir du chef de l’Etat et du gouvernement au détriment du Parlement.


II/ Le Parlement sous la Vème République


La constitution de 1958, approuvée par une très large majorité de Français, crée en effet les conditions « d’un Parlement rationalisé ». Le mode de scrutin majoritaire d’arrondissement uninominal à deux tours, choisi pour l’élection de l’Assemblée Nationale, entraîne l’éviction des petits partis, renforce la représentation du parti majoritaire, donc la possibilité de majorités parlementaires et gouvernementales stables et durables. L’instabilité ministérielle disparaît définitivement de la vie politique.

Les députés élus partagent le pouvoir de débattre et voter les projets de loi avec un Sénat, assemblée élue par les élus locaux, renouvelable par tiers tous les trois ans, où les zones rurales sont surreprésentées. Il s’agit de créer là un pôle conservateur et de stabilité, afin de contrôler l’Assemblée Nationale potentiellement plus réactive aux fièvres possibles du corps électoral. C’est dire à tel point cette dernière doit être le plus possible au service de l’action du chef de l’Etat et du gouvernement, menant la politique au nom de la nécessaire efficacité requise dans un monde complexe où les décisions doivent être prises rapidement.

C’est pourquoi le Parlement qui doit partager avec le gouvernement l’initiative des lois, doit surtout voter les propositions de loi de ce dernier. S’il conserve la possibilité de censurer le gouvernement, la solidarité d’une majorité élargie composée d’un seul parti ou de deux, rend quasiment impossible l’aboutissement d’une motion de censure. La seule qui soit parvenue à obtenir assez de voix pour faire démissionner un gouvernement, fut celle de 1962, contre le gouvernement Pompidou, lors d’une véritable fronde parlementaire contre la volonté du Président de proposer son élection au suffrage universel. Le Parlement voyait là, à juste titre, un nouvel abaissement de son importance, ne pouvant plus alors revendiquer une légitimité supérieure aux autres pouvoirs , puisque sortie des urnes. En 1962 , le Parlement avait par ailleurs eu le temps d’expérimenter sa relative marginalisation dans le processus de décision. Il s’apparentait à une chambre d’enregistrement : dans le cadre de deux sessions sur six mois de l’année, le gouvernement proposait des textes de lois à débattre en temps limité, pouvant utiliser de surcroit des procédures de contournement du débat, comme les ordonnances, ou l’article 49-3 de la constitution, permettant au gouvernement de légiférer à partir de l’adoption par le Parlement d’une déclaration de politique générale. Le Président de la République possédait enfin deux autres possibilités de contrôler le Parlement : le referendum et le droit de dissolution de l’Assemblée Nationale, plus facilement réalisable que sous la IV e République.

En limitant ainsi le rôle du Parlement, le général de Gaulle a certes permis une plus grande efficacité du régime, ce dont les Français lui sont gré, sa popularité culminant justement avec le referendum sur l’élection du Président au suffrage universel, et l’élection d’une écrasante majorité gaulliste aux élections organisés en même temps, après la dissolution d’une Assemblée Nationale rebelle, et dans le contexte de la fin de la guerre d’Algérie. Mais l’abaissement du Parlement déplace ailleurs le centre de la vie démocratique : désormais le gouvernement et le Président sont plus directement exposés au jugement du corps électoral. De plus, l’expression démocratique va chercher à s’exprimer ailleurs : dans les media et dans la rue. Ainsi la crise de Mai 1968 est entre autre une crise de la représentation démocratique.

La pratique autoritaire des institutions par un Président âgé qui perd peu à peu le contact avec les jeunes générations ouvertes à d’autres aspirations que le conservatisme ambiant, alors même que les médias radiophoniques et télévisuels sont étroitement contrôlés par l’Etat, ne laissent guère d’autre place à la contestation que la rue.

En quittant brutalement ses fonctions en avril 1969, De Gaulle montre les limites d’un système politique qui a choisi l’efficacité par la marginalisation relative du Parlement. Le fait que la crise de Mai 1968 se soit achevée par l’élection d’une nouvelle assemblée nationale montre toute l’importance symbolique que conserve le Parlement dans une démocratie : il est indispensable. Les électeurs vont d’ailleurs faire de plus en plus de l’élection législative un outil pour exprimer leur mécontentement face à l’exécutif présidentiel et gouvernemental. Avec l’entrée de la France dans la crise multidimensionnelle commencée en 1973, le face à face entre opinion et gouvernement passe par l’entremise de l’élection de l’Assemblée Nationale : entre 1981 et 2002, les Français vont systématiquement voter contre la majorité sortante. A trois reprises, en 1986-88, 1993-95, 1997-2002, ils provoquent, par leur choix une cohabitation forcée entre un Président et un gouvernement issu d’une majorité parlementaire opposée au chef de l’Etat. C’est par exemple le cas pour M. Chirac, président issu de la Droite, après la dissolution de 1997 qui lui est défavorable, puisqu’il doit alors gouverner avec M.Jospin et une majorité de « gauche plurielle ». Une telle cohabitation demeure possible tant que le mandat présidentiel de 7 ans diffère de celui de l’Assemblée fixé à 5 ans. L’élection législative, intervenant en cours de mandat présidentiel permet donc d’envoyer un message puissant au chef de l’Etat. C’est la raison pour laquelle, une majorité de Français apprécie la cohabitation : elle est une manifestation de la souveraineté du peuple, en même temps qu’elle renoue avec le mythe du consensus et de l’unité nationale, rêvée par beaucoup. C’est pourtant une illusion puisqu’elle finit toujours par mécontenter tout le monde, ni le Président, ni la majorité parlementaire ne parvenant à appliquer le programme sur lequel ils ont été élus. Celle-ci a cependant, avec le gouvernement issu de ses rangs, un large liberté de manœuvre : en effet, si le Pt Mitterrand, en 1986, refuse de signer des Ordonnances préparées par le gouvernement Chirac, les chefs d’Etat, par la suite, laissent agir leurs adversaires, se contentant d’en critiquer l’action dans les médias.

Au-delà de la cohabitation, les Français peuvent remettre également le Parlement au centre de la vie politique, de manière indirecte, par un vote protestataire et l’abstention. Si la loi électorale ne permet pas à tous les partis politiques d’être représentés au Parlement, le premier tour des élections législatives est l’occasion, à partir de 1986, pour les électeurs de s’exprimer de plus en plus en faveur de l’extrême droite ou de l’extrême gauche, manifestant ainsi une déception par rapport aux grands partis de gouvernement, et une aspiration à une prise en compte de certaines de leurs préoccupations. L’abstention qui ne cesse de monter depuis vingt ans , pour atteindre plus de 30% en 2007, est un autre témoin d’une véritable crise de la représentativité. Elle est très difficile à interpréter : signifie t-elle par exemple une plus grande attente ou un désintérêt croissant vis à vis du Parlement ?

Depuis 1995, la classe politique lier ces deux questions pour tenter d’en apporter des réponses institutionnelles : il s’agit bien de redonner plus de place au Parlement tout en le rapprochant davantage des citoyens : session parlementaire passant de 6 à 10 mois par an, parité hommes/femmes, réintroduction d’une initiative des lois d’origine parlementaire, promesse des gouvernements de recourir le moins possible à l’article 49-3, possibilité pour les Parlementaires d’être à l’origine d’un referendum, réduction du cumul des mandats.

Tout cela n’a toutefois pas mis fin à l’augmentation de l’abstention, ni à une présidentialisation du régime qui s’est poursuivie, atteignant des sommets depuis 2007, et dès 2002 avec la réduction du mandat présidentiel à 5 ans : les élections législatives suivant de quelques semaines les présidentielles, n’ont plus d’enjeu si ce n’est donner au chef d’Etat nouvellement élu une majorité lui permettant de mener à bien ses projets. On peut alors se demander si, la revendication d’un recentrage de la vie politique sur le Parlement, n’est pas essentiellement une demande des Parlementaires, professionnels de la politique et donc attachés à défendre les prérogatives de ce qui serait une corporation ? Il n’est pas sûr en tout cas que les Français aujourd’hui soient attachés à valoriser un Parlement qui prête le flanc à bien des critiques : cumul, machisme, corruption, autisme, incapacité, technocratie, sont des accusations très fréquentes, loin d’être toujours fondées mais qui constituent une sorte de paysage consubstantiel à la démocratie. Pendant longtemps les Français sont apparus comme des citoyens très politisés, sacralisant volontiers la politique, donc manifestant régulièrement une déception face à des politiciens qui n’étaient pas des dieux. Les démêlés en justice de certains ne suscitent plus forcément de réactions passionnelles, en témoignent la réélection de divers élus pourtant mis en examen, en 2008. Il ne s’agissait pas il est vrai d’élections législatives mais locales. Cet apaisement relatif, peut manifester une certaine lassitude, une résignation des électeurs. Il peut aussi montrer un désintérêt dont le moteur serait l’évolution très importante de la société et des mentalités. Dans une société très individualiste, le citoyen a tendance à rechercher une réponse politique adaptée, c’est à dire du sur mesure individuel. comment un régime parlementaire historique, né dans le contexte d’une société plus hiérarchisée, et structurée collectivement , saurait-il répondre à son attente ? Et ce d’autant plus que le champ des libertés individuelles s’est considérablement développé, ainsi que le niveau d’instruction, l’accès à des sources médiatiques toujours plus diverses, le recours à la parole des experts pour expliquer le monde. Il en résulte de fait un repositionnement de l’élu, source d’information et interlocuteur parmi d’autres. Des spécialistes comme ont bien montré ces phénomènes qui peuvent tout autant se traduire par une passivité du citoyen ou un engagement dans une association de son choix répondant à son désir de participation directe à la vie démocratique. Lors de la campagne électorale de 2007, d’ailleurs, le débat s’était un temps centré sur le thème de la démocratie participative, déjà réelle dans certaines communes, et illustré durant la présidentielle par des débats menés sur internet. Le terme de cyber-démocratie a même été employé. Ces évolutions, qu’elles soient réelles ou fantasmées, posent à chaque fois la question de la place du Parlement, symbole d’un régime représentatif ici délaissé. Critiqué au nom d’une démocratie à approfondir, il l’est enfin au nom de la recherche de toujours plus d’efficacité : avec la mondialisation, la montée en puissance d’organismes de décisions internationaux non élus et sans contrôle démocratique, comme l’OMC, les délégations de souveraineté aux institutions européennes, la promotion toujours plus importante des experts spécialisés, et le triomphe de modèle d’organisation entreprenariale, une pensée politique nouvelle s’est développé valorisant une gouvernance qui marginaliserait le pouvoir du peuple et du Parlement dans la prise de décision.


Conclusion


Depuis 1945 la France a connu une longue période démocratique, avec deux Républiques qui ont tenté de créer les conditions d’une régime à la fois représentatif et efficace. Cette double condition, héritage de l’Histoire et des nécessités, a fait du Parlement un enjeu fondamental de la vie politique. Si la quatrième République a échoué en en faisant le lieu exclusif des débats et prises de décision, la cinquième n’est pas parvenue à une situation définitive en rationalisant le Parlement devenu dans les années 1960 une chambre d’enregistrement. Les graves crises politiques de 1958 et de 1968 ont montré que la solution se trouvait peut-être entre les deux. Il est vrai qu’un ensemble de lois ont permis de revaloriser le Parlement, notamment depuis 1995. Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui encore la situation n’apparaît pas comme idéale, à tel point qu’il devient légitime de se demander si la démocratie parlementaire n’est pas un modèle historique en fin de parcours. Elle doit en tout cas tracer son chemin entre la volonté des uns d’une participation plus directe des citoyens, et celle d’autres prônant un modèle de gouvernance plus oligarchique. Les difficultés pour le Parlement à trouver sa bonne place, entre « l’hyperprésidentialisation » impulsée par M. Sarkozy, et un certain attentisme du corps électoral, montrent en tout cas que la démocratie est sans doute entrée dans une nouvelle phase de son histoire.

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