jeudi 13 mai 2010

Antoine Pinay

Intro:
Homme politique resté dans l'histoire de France comme « le sage de Saint-Chamond » et un gestionnaire prudent et efficace, Antoine Pinay lutta avec succès contre l'inflation et mena une politique libérale et souvent iconoclaste qui permit la prospérité des Trente Glorieuses.

PB: Antoine Pinay est-il véritablement l'homme ordinaire, le français moyen qu'il a toujours dit être?

Plan:
I)Le chef d'entreprise avant l'homme poltique: le français moyen (1891-1944)
II) L'incarnation de la droite après Vichy (1944-1958)
III)(1958-1994)



I) (1891-1944)

1.1- Un gestionnaire

ses origines: Issu d'une famille catholique et conservatrice de chapeliers Lyonnais, de Saint-Symphoriens-sur-Coise (à côté de Saint-Étienne), son père Claude Pinay, exploite la chapellerie familiale. Peu intéréssé par les mathématiques, il renonce au baccalauréat; il ne passera aucun titre scolaire de sa vie. Durant la Grande Guerre, il perd l'usage de trois des doigts de la main droite après une bataille héroïque, il recevra la croix de guerre et la médaille militaire. Rendu à la société civile, il se marie avec la fille d'un propriétaire d'une tannerie à Saint-Chamont. À la mort de son beau-père, il reprendra la tannerie.
Il a acquiert rapidement une réputation d'excellent gestionnaire à la tête de la tannerie qui lui vaut ses débuts en politique.

1.2- Homme politique contre son gré

- Il est approché pour être candidat aux élections municipales de 1929. Il est réticent et «malgré lui» accepte d'être candidat à trois jours du scrutin; sa liste est largement élue et c'est à l'unanimité du conseil municipal qu'il est élu maire. Il restera maire jusqu'en 1982 où il renoncera à son fauteuil. Tout au long de ses mandats il conserve un souci de modération fiscale et d'équilibre budgétaire.
On doit lui forcer la main pour qu'il se présente au conseil général où il est largement élu en 1934. Les élections législatives de 1936 approchent et malgré les demandes répétées, il refuse catégoriquement de se présenter. Au soir du premier tour, le candidat communiste arrive en tête et menace d'emporter la circonscription. Il faudra alors l'intervention du président du conseil Albert Sarraut et de l'intelligentsia anticommuniste de la région pour le faire céder à quelques jours du second tour. Malgré la brièveté de sa campagne, il est élu avec 51,26% des voix contre 43,23% au candidat communiste Marcel Thibaud, réunissant les voix radicales et conservatrices.
Il devient l'homme du consensus et s'inscrit avec les radicaux. Il arrive à l'Assemblée avec le Front Populaire, il s'accommode mal de la politique d'« exagérations » menée alors et ses débuts politiques sont discrets. En 1938 il se fait élire au Sénat, poste qui convient davantage à sa discrétion. (Il siègera à la commission des finances).
Il critique fermement les accords de Munich, y voyant un renoncement face à Hitler. Il n'est guère surpris par l'offensive allemande. Mais cela ne l'empêche pas de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940.

1.3- Sous Vichy: un attentiste?

Après l'arrivée au pouvoir du Maréchal, il est nommé au conseil national, l'assemblée consultative du régime de Vichy et recevra l'ordre de la francisque. En tant que notable provincial, Antoine Pinay fait partie de ceux sur lesquels la Révolution Nationale veut s'appuyer. Jusqu'en 1942 il participera au régime de Vichy alors que ces affaires avec la tannerie prospère.
En 1942, au vu de l'évolution du régime, il démissionne du conseil national et refuse le poste que lui propose Laval comme préfet de l'Hérault. Il refuse toute participation aux institutions du régime. Il semble même qu'il ait fait passer en Suisse et à Alger des juifs et des résistants. Par ailleurs son fils prend le maquis en 1944. À la Libération il sera frappé d'inéligibilité lors de la folie épuratrice.

II) L'incarnation de la droite après Vichy (1944-1958)

2.1- Le libéral: la réhabilitation de la droite

Après avoir été touché par l'épuration administrative de la Libération, il est réhabilité en 1945. On a besoin de lui, le personnel politique de la droite est à l'étiage. Il incarne cette France attentiste et non résistante sous l'Occupation: Le français moyen qu'il se revendique être. Il est élu cette même année à la deuxième Assemblée Consituante aux côté des Républicains conservateurs mais il n'est pas directement affilié à un parti; il partage les idées des libéraux sur les partis politique, il est très attaché à la liberté de son vote. Il restera député jusqu'en 1958.
Il se méfie des communistes et craint une collectivisation toujours plus poussée, il reste fidèle à un libéralisme de conviction. Ainsi il déclare: « le rôle du gouvernement est de gérer les affaires du pays. Ce n'est pas d'être banquier, de fabriquer des chaussures ou des voitures ». Il soutient une planification indicative mais il s'oppose à toute manipulation de la monnaie en particulier à l'inflation.
1947: il est réélu à la mairie de Saint Chamond.
1948: il entre dans le gouvernement André Marie comme secrétaire d'État aux affaires économiques auprès de Maurice Petsche. Il entame une libéralisation de l'économie, en rupture radicale avec le dirigisme de la Libération.
1950-52: Il est ministre des travaux publics + Il est membre du Centre National des Indépendants (CNI) où il se lie d'amitié avec le polytechnicien et économiste Jacques Rueff, chargé de mission auprès de Raymond Poincaré et Juge dans les instances européennes dans les années 50.

2.2- Le président du conseil

Mars 1952: Il est nommé Président du Conseil par Vincent Auriol, de manière assez inattendue dans une période de crise profonde qui traverse le pays (forte inflation, dépréciation de la monnaie, perte de confiance dans le système démocratique). cf. Le journal Marseille qui publie une caricature sur la gravité de la situation montrant Vincent Auriol tendant une peau représentant la France à Pinay avec pour légende: «Prenez-là, il ne reste que la peau.»
Mise en place de la politique dite «psychologique» (politique iconoclaste ayant pour but de briser l'inflation: il refuse le blocage des prix ou toute politique de déflation autoritaire, il estime que la situation extraordinaire légitime d'autres mesures. La pénurie constante de l'après-guerre a créé un cliquet qui bloque les prix à la hausse et qu'il faut faire sauter dans les esprits, alors que les prix mondiaux sont orientés nettement à la baisse. Il se présente donc comme l'ennemi de l'inflation et communique efficacement autour des mesures incitatives à la baisse des prix. Il se fait alors le champion de la baisse des prix et l'ami du consommateur, ce qui ne l'empêche pas d'être un libéral convaincu. En effet, ses mesures sont certes iconoclastes mais ce n'est que dans l'urgence de la situation. Il réussit néanmoins à faire passer l'indice des prix de 152,5 en février 1952 à 140,5 en décembre.
L'amnistie fiscale: Elle est mise en place dans le but d'inciter les capitaux à revenir en France. Amnistie qui est assortie de mesures de rigueur pour ceux qui continueraient l'évasion fiscale qui si elle était un devoir sous l'Occupation, est restée pratique courante.
L'emprunt Pinay: Pinay souhaite restaurer la confiance, il prépare donc un emprunt gagé sur l'or. Son but était de mettre un terme aux emprunts d'État qui, au final, escroquaient les épargnants, et de montrer que l'État honorera désormais ses engagements. L'emprunt Pinay servira donc un taux exonéré d'impôts et surtout gagé sur l'or, ce qui assure les prêteurs qu'ils récupèreront les montants avancés à l'État. Ce sont 428 milliards qui seront ainsi levés => on parle alors de «miracle Pinay».
Malgré toutes ces réformes, Pinay doit céder à la pression du MRP et accepter l'échelle mobile des salaires qui a un effet inflationniste automatique. Il doit également procéder au blocage des prix le 12 septembre 1952, ceux-ci ne pouvant évoluer qu'à la baisse: mesures non libérales et inefficaces. Au final, sur le plan économique, si les mesures prises par Antoine Pinay ne furent pas en tout point fidèle aux idées libérales, sa grande qualité fut de restaurer un climat de confiance et une économie plus stable, « une situation où le calcul économique reprenait sa valeur ».
La crise mondiale frappe cependant la France et, malgré les victoires sur le front de l'inflation ou de la confiance, le déficit budgétaire se maintient. « Pinay ou pas, la France devait participer à la récession mondiale » résumera l'historien Hubert Bonin dans Histoire économique de la IVe République. Sa majorité se divise sur des questions de politique étrangère et, malgré la popularité exceptionnelle de Pinay, l'Assemblée est de plus en plus réticente à soutenir le gouvernement.

2.3- L'éloignement

Le 22 décembre 1952, constatant l'impossibilité à faire voter ses réformes, il démissionne de la présidence du Conseil. Vincent Auriol, président de la république, essaie de le faire revenir sur sa décision, sans succès.
Après sa démission du poste de président du Conseil, il se retire quelques temps mais continue sa carrière nationale. En 1953, il est ainsi président du Centre national des indépendants et paysans, et candidat malheureux à la présidence de la IVe République.
Il devient également à nouveau ministre; ministre des affaires étrangères en 1955-1956, il ouvre la voie à l'indépendance tunisienne avec les accords de La Celle Saint Cloud.

III) (1958-1994)

3.1- Le partisan de De Gaulle

À l'arrivée au pouvoir de De Gaulle en 1958, il est nommé ministre des Finances. Il lance alors un nouvel emprunt national et met en place le passage de l'ancien franc au nouveau franc afin de mettre fin à l'inflation.
Il lance le comité Rueff-Armand, qui produira le plan éponyme sur les obstacles à la croissance économique en France. Le rapport, qui lui est remis en décembre, préconise la suppression de toutes les indexations de prix, la libération quasi-totale des échanges, un ajustement monétaire permettant le retour à la convertibilité du franc, l'augmentation de l'impôt sur les sociétés et d'importantes économies budgétaires. La plupart de ces propositions sont mises en pratique par les ordonnances du 31 décembre 1958, contrebalançant dans le bon sens les mesures de blocage partiel des prix acceptées par Pinay en septembre 1952.

3.2- La rupture avec De Gaulle: Atlantiste et européen

- Pinay est avant tout un libéral et il n'accepte pas l'interventionnisme gaulliste en économie.
- Par ailleurs en tant que libéral reste profondément atlantiste, européen et anti-colonial. Avec autant de désaccord la rupture avec Le général ne tarde pas. En 1960, s'opposant à la politique algérienne et extérieure du gouvernement (anti-atlantisme en particulier), Pinay donne sa démission en janvier 1960 et se retire de toute activité politique nationale.

3.3- Le sage de Saint-Chamond

Malgré la rapidité de son passage à Matignon, sa réputation de vainqueur de l'inflation et de père de la restauration du franc l'entourent. Il est nommé médiateur de la République en 1973, le premier à occuper ce poste. Il l'occupera jusqu'en 1974.
Il se retire progressivement de la vie publique tout en continuant à exercer son mandat de maire de Saint-Chamond. Nombreux sont les hommes politiques à venir le voir pour obtenir son conseil ou des encouragements.
Il s'éteint à son domicile de Saint-Chamond le 13 décembre 1994, à l'âge de 102 ans. Homme d'une grande modestie, il avait toute sa vie refusé de recevoir la légion d'honneur.

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