Le débat colonial 1870-1914

En 1870, La France est déjà un empire composé principalement sous le Second Empire de colonies en l’Amérique du Nord (St Pierre-et-Miquelon)et du Sud( Guyane), dans les Caraïbes (Guadeloupe et Martinique), en Afrique Subsaharienne, en Asie et en Oceanie.

Raoul Girardet L’idée coloniale en France de 1871 à 1962

Dans quelle mesure peut-on dire que le débat colonial a évolué vers une plus grande acceptation malgré une relative indifférence de l’opinion ?

I Le Grand débat 1870-1885

La politique coloniale ne reprend qu’à l’arrivée des Républicains au pouvoir

1. Gambetta : la politique coloniale

Gambetta rôle de la colonisation : compensation des pertes territoriales mais aussi retrouver la place occupée avant la guerre. Doctrine moderne de la colonisation développée par des spécialistes de la question coloniale Leroy-Beaulieu De la colonisation chez les peuples modernes (colonisation = facteur de croissance). Mais le principal doctrinaire est J.Ferry Le Tonkin et la Mère Patrie qui pense la colonisation comme une grande tâche historique pour la République :

• Argument économique « bonne affaire » : débouchés et ressources matières premières J.Ferry « La question coloniale …c’est la question des débouchés » argument de propagande plus qu’une analyse économique développée.

• L’argument humanitaire « les races supérieures » et le devoir de civilisation, colonisation comme œuvre d’émancipation, poursuite de l’œuvre des Lumières contre l’injustice, l’esclavage, la soumission aux Ténèbres.

• Troisième argument : le devoir de retrouver la grandeur de la France, rivalités internationales

2. Les Anticolonialistes : contestations et controverses

Puissante force de contestation qui regroupent aussi bien des hommes de droite que des hommes de gauche et ils finissent par triompher après le retrait de Ferry suite à la défaite de Lang Son lors de la conquête du Tonkin. Opposition à la triple argumentation de Ferry :

• La France trahit les Droits de l’Homme. Rochefort L’Intransigeant. Pacifistes et Radicaux (Clémenceau) Sociétés Pacifistes Ligue Internationale de la Paix et de la Liberté Société Française des Amis de la Paix Ligue des Droits de L’homme, les catholiques libéraux Paul Viollet Comité de Protection et de défense des Indigènes

• Opposition libérale : reprise de JB.Say. Scandaleuse dilapidation des richesses qui n’ouvre pour l’avenir aucune perspective. Aux frais des guerres de colonisation s’ajouteront plus tard les frais de fonctionnement, les entreprises françaises devront produire plus et seront moins compétitives

• Considérations d’ordre démographiques ; la France ne peut alimenter un courant d’émigration et la vie des jeunes Français est inutilement exposée Sacrifice de « l’or et le sang de la France » F.Passy

• Menace grave pour l’indépendance et la sécurité. Isolement diplomatique conflits avec l’Angleterre et l’Italie. Calcul supposé par la droite nationaliste de Bismarck pour empêcher la France de se relever et la détourner des provinces perdues. Il faudrait d’abord reconquérir les provinces françaises Déroulède « relèvement de la vraie France ». Pour Clémenceau la politique coloniale disperse les forces françaises « mon patriotisme est France »

• Association de la colonisation avec la corruption : campagne contre le consul Roustant La Justice de C.Pelletan L’Intransigeant de Rochefort

• Absence de politique de recueillement : chemin de la décadence

3. Position des français

1875-1885 opinion publique heurtée et violentée par la politique coloniale des différents gouvernements et, surtout de 1881 à 1885 est en partie sensible au discours anticolonialiste mais toutefois en majorité indifférente à la question Politique coloniale très active sur cette période :

• 1 mai 1881 traité du Bradot protectorat sur la Tunisie

• 30 mars 1885 la France est défaite à Lang Son

• le 6 avril la Chine cède l’Annam et le Tonkin à la France les députés à la chambre, représentants de la volonté du peuple forment un groupe de 267 qui s’affirment ouvertement anticolonialiste en 1885, tandis que 306 votent la chute de Ferry après Lang Son

Cependant on ne peut pas dire que l’opinion soit hostile à la politique de l’extension coloniale dans la mesure où la question de l’Empire est encore peu présente dans les programmes (sauf celui des radiaux) et influence peu les élections législatives. L’opinion apparait sensible aux discours anticolonialistes et tout particulièrement aux arguments nationalistes anticolonialistes qui supposent une possible machination de Bismarck pour disperser la France et du possible conflit entre les nations Naissance du nationalisme hostile à l’expansion coloniale Ligue des Patriotes fondée en 1882 et présidée dès 1885 par Déroulède. Bourgeoisie française très hostile sensibles à l’argumentation des économistes libéraux qui dénoncent les « gouffres financiers ». A l’opposé il y a un développement de l’attrait pour la géographie (1872 la géographie devient une matière enseignée à l’école), les sociétés de géographie se multiplient sur le modèle de la grande Société de Géographie de Paris crée en 1876. Ces sociétés répandent le goût de l’exploration, la volonté de découverte de régions inconnues et l’ambition coloniale.

Opposition de deux nationalismes : un nationalisme d’expansion coloniale et un nationalisme de rétraction continentale

Leroy-Beaulieu 1882 « la conscience nationale commence à concevoir l’importance des colonies »

II Le Revirement progressif de l’opinion 1885-1900

1. le Parti colonial

Groupe influent de la IIIème République principal inspirateur de la politique extérieure de la France entre 1890 et 1930 :

• Octobre 1883 Société Française de la colonisation 800 adhérents appui moral et politique des parlementaires pro coloniaux et demande à Ferry d’être le président

• Groupe colonial sous l’égide d’E. Etienne journal La Quinzaine Coloniale Il devient le groupe le plus important de la Chambre après le groupe agricole. Eugène Etienne président de 1892 à 1914. Adhérents connus : F. Faure, R. Poincaré, P. Deschanel, G. Doumergue, A. Lebrun, P. Doumer. 91 adhérents, nette prépondérance des parlementaires siégeant au centre et des professeurs et diplomates

• Nébuleuse d’organisations et de comités :

Comité de L’Afrique française 24 novembre Hippolyte Percher dit Harry Alis (collaborateur au Journal des débats) suite au traité anglo-allemand du 1^er juillet (partage de l’Afrique orientale) Volonté d’une seconde expédition au Tchad pour replacer la France dans la course aux colonies. 947 adhérents a la fin de 1891. Centre important de propagande diffusion de son « bulletin » actif lobby parlementaire.

Comité de l’Asie française 1901 Eugène Etienne partage de la zone en sphère d’influence et partage du « colosse chinois ».

Alliance française 1883 P. Bert, V. Duuy, Ferdinand de Lesseps aider à la propagation de la langue française dans les colonies et à l’étranger

Union coloniale Française juin 1893 « syndicat des principales maisons françaises ayant des intérêts dans les colonies » « office colonial privé et organisation de propagande coloniale » J. Chailley à sa tête Mercet (administrateur de la banque Perrier et du Comptoir d’Escompte puis en 1904 C. Roux (administrateur de Banque de France et du Canal de Suez et président de la Compagnie Transatlantique)

Ligues Ligue Coloniale française avril 1907 Eugène Etienne renforcer me parti colonial et forger l’éducation coloniale du peuple français

2. La propagande

• Arrivée d’un ministère des Colonies. Avec le Gouvernement Gambetta 1881 création d’un sous-secrétariat d’Etat aux Colonies attribué à Faure. Initiative abandonnée après le départ de Gambetta reprise par Ferry en 1883. En 1894 Casimir-Perrier crée le Ministère des Colonies dont le premier titulaire est Delcassé. Développement d’une administration qui débouche sur la création en 1889 d’une Ecole coloniale « destinées à donner l’enseignement des sciences coloniales et assurer le recrutement des différents services coloniaux » centre de formation pour les futurs fonctionnaires coloniaux, administrateurs et magistrats, « Saint-Cyr colonial ». On passe de l’image du conquérant au fondateur d’Empire.

• Journaux spécialisés : Bulletin mensuel des sociétés géographiques tirés à 4000 exemplaires, il vise la bourgeoisie cultivée ; La Quinzaine coloniale

• Multiplication des conférences dans toute la France

• Dîners mensuels consacrés à un problème particulier et un banquet mensuel présidé par l’actuel ministre des Colonies

• Fondation à La Sorbonne d’un « cours libre d’enseignement colonial » 200 auditeurs deux fois par semaine un prix de 20 000F et une bourse de voyage étaient attribués

• Ligue coloniale de la Jeunesse crée en 1897 par la L’Union Coloniale « Education, Propagande, Assistance »

• Ouverture des journaux généralistes

• Ouvrages : monographie, études géographiques, récits de voyage, ou livres de vulgarisation consacrés aux anciennes ou nouvelles possessions d’Outre-mer, Romans d’aventure J. Verne

• Manuels scolaires : école vecteur important de la propagande républicaine Les professeurs républicains croient ainsi devoir faire la propagande de la politique coloniale voulue par le gouvernement Par suite certains professeurs assimilent la politique coloniale comme un remède au socialisme. Apologie flagrante depuis 1884 « nos magnifique Empire colonial, nos grands coloniaux » de nombreux auteurs critiquent l’action de l’Angleterre en Chine et expliquent qu’à l’incident de Fachoda « le choix était de notre côté » Fierté patriotique « extension de la tâche rose des territoires français » à travers de nombreuses cartes manuel du cours supérieur Jellifier et Vant (1884) C.E. Rogie P.Despiques

• Littérature enfantine : Les Enfants de Manuel (1887) Mme A.Fouillée célèbre l’Algérie moderne comme une nouvelle Alsace Œuvre de J. Vernes diffusions de périodiques tels Le Petit Français

3. Le changement progressif de l’opinion

Intérêt de plus en plus marqué pour la conquête de l’Afrique centrale. Alors que les expéditions de Tunisie et du Tonkin s’étaient déroulées dans une atmosphère générale de gêne ou de réticences hostiles, les entreprises militaires conduites à partir de 1890 au Soudan, au Tchad, sur le golf de Guinée semblent bénéficier de la part du public d’une sympathie fervente et partagée. Les péripéties des combats sont très abondamment commentées : les grands noms de « l’épopée africaine » sont désormais célébrés (Binger, Archinard, Gouraud, Crampel, Mizon. La campagne de Dahomey (1892-1894) est suivie par la presse. L’expédition du capitaine Marchand qui part du Soudan et se heurte aux britanniques de Lord Kitchener à Fachoda est suivie avec fièvre. Marchand est célébré à son retour et ses exploits ainsi que ceux de ses compagnons furent chantés.

Delcassé 1893 « les préventions contre la politique coloniale semblent avoir disparues »

III La reprise des débats à l’approche de la guerre

1. L’acceptation du fait accompli

Revirement politique. Les radicaux se rallient les premiers à une politique qu’ils avaient violemment combattue. Arrivé au pouvoir en 1902 il n’est nullement question de remettre en question l’œuvre accomplie, ils ne la conservent pas seulement mais la poursuivent (Maroc). Clémenceau se fait alors l’héritier du « Tonkinois » Ferry combattu. Mainmise des radicaux sur le gouvernement colonial. A la veille de la première guerre mondiale la droite est ralliée à la question coloniale : soutien des conservateurs lors de la campagne marocaine 1905-1906 contre l’Allemagne. C’est la réconciliation de deux nationalismes qui peut se comprendre par la vision d’une Allemagne non plus alliée mais ennemie. De plus l’Empire semble être un élément supplémentaire de puissance en cas d’une éventuelle guerre. Barrès « oui je me réjouis du Maroc parce que c’est une affaire européenne et qui peut nous servir sur le Rhin ». Mangin La force noire : utilisation des Africains pour l’économie mais surtout pour la défense. Régénération morale Refonte des caractères, promotion d’une nouvelle élite

2. La naissance d’une nouvelle opposition

Le consensus autour de la colonisation n’est pas fait. Campagnes de dénonciation et de protestations que continuent à susciter les abus de l’action coloniale. Manifestations (marginales) pour ébranler l’opinion : La gloire du sabre 1900 Vigné d’Octon ancien médecin colonial (peinture atroce des expéditions africaines) Le Sang du pauvre L. Bloy. Certaines affaires semblent créer une émotion réelle comme l’affaire du Congo en 1905 ( territoire concédé à de grandes compagnies d’exploitation auxquelles avaient été accordées des droits étendues de police et de justice abus de ces droits dénoncé par Challaye)

Naissance et développement de la contestation socialiste. Question peu traitée au début à cause de l’utopie socialiste ; libérateur et mission civilisatrice. Il faut attendre 1895 pour que la question soit posée par Guesde (opposé au Tonkin et à la Tunisie) qui dénonce les « flibusteries coloniales », « l’une des pires formes d’exploitation capitaliste ». A partir de cette date le thème ne cesse d’être repris et développé. 1905 Le Colonialisme P. Louis : expression théorique la plus cohérente. La II Internationale se trouve partagée entre deux courants : clivage apparait au Congrès de Paris 1900, celui d’Amsterdam 1904 et Stuttgart 1907.Condamnation absolue, totale et intransigeante ou phénomène historique inéluctable et il convenait de remplacer le colonialisme bourgeois par un colonialisme « positif » ou « socialiste » . Exemple de Jaurès qui admet la mission civilisatrice mais remet en cause les formes et les modalités de la politique coloniale, il veut une politique plus lente par les moyens économique, intellectuels t moraux répudiant la force et la contrainte, genèse de nouvelles forces et promesse de développement inattendu proche réveil des peuples soumis. Sa politique se développe dans toute son ampleur en 1904-1905, la conquête du Maroc pour Jaurès ne fait qu’attiser les rivalités .

Opposition de certains dans la droite nationaliste : Maurras (la politique coloniale a empêchée la France de se consacrer à la lutte contre l’hégémonie germanique)

3. Relative indifférence de l’opinion

En 1914 Ligue coloniale Fr « l’éducation coloniale des français reste entièrement à faire ». La dépêche coloniale « nous sommes à l’heure actuelle sans appui dans le pas par le défaut d’opinion en matière coloniale ». Militants 15000 pour 12 associations 25 000 toutes associations confondues. La France n’est pas une patrie coloniale : Clémentel ministres des colonies en 1905 « les colonies … je ne savais pas qu’il y en avait autant ». Propagande à travers la presse pas la dimension espérée par le parti colonial en 1900 à Paris 45 journaux, bulletins ou revues estiment faire partie de la presse coloniale sur un total de 27900 publications périodiques.

Inquiétude vis-à-vis de l’Allemagne plus présente que la préoccupation de la colonisation. Fachoda et les deux crises du Maroc (1905 et 1911) font craindre une guerre.

Etienne regrette en 1908 « l’inertie, l’indifférence de notre propre grand public vis-à-vis de la colonisation »

Conclusion : Œuvre de colonisation très importante de la III République (Tonkin Benin 1895 Cambodge 1863,Laos1893,Viêt Nam, provinces chinoises, Vanuatu 1906, protectorats sur le Maroc 1912 et La Tunisie 1881), œuvre développée par les Républicains selon 3 grandes idées : développement économique, retrouver la grandeur de la France, devoir de civilisation. Opposition très forte au début puis grâce à la propagande du Parti Colonial l’opinion finit par adhérer à la politique. A l’approche de la guerre tous les anticoloniaux ont rejoint la colonisation et seul les socialistes semblent s’opposer à celle-ci. Malgré tout on peut dire que la colonisation a laissé l’opinion indifférente malgré le fait qu’elle soit une cause de la 1ere guerre mondiale.